samedi 20 mai 2023

Comme chez Mamie

Quelques notes au sujet de la maison que l'on explore tout au début de Call of Cthulhu : Dark Corners of the Earth, et qui me fascine tant.

Ces couloirs... ce tapis comme chez Mamie, ce papier peint, ces appliques. Tout ce décor merveilleux du vingtième siècle qui a perduré jusqu'à mon enfance, peu à peu remplacé par les horreurs de chez IKEA,  Maisons du Monde, Conforama et autres.

Comme la maison de Alone in the Dark, que j'ai évoquée récemment, celle de Dark Corners of the Earth a quelque chose d'absolument archétypal ; on a l'impression de la connaître intimement depuis toujours, d'y avoir déjà vécu ou connu des proches qui y vivaient ; on réalise en l'explorant qu'on aspire à y vivre, à y retourner enfin après toute une vie passée dans des décors merdiques sans âme et sans chaleur.

Je donnerais littéralement quelques années d'espérance de vie pour retrouver cela. Ce genre de décor et la vie qui va avec.

J'ai emménagé, en août 2022, dans un duplex de 110 mètres carrés dans un village juste à côté de la ville où je travaille et où j'ai vécu depuis 2007. Je suis passé d'une avenue entièrement bétonnée et bruyante comme une autoroute à une petite rue avec vue, d'un côté, sur le cimetière, et de l'autre, sur un parc public et des champs à perte de vue. C'était nécessaire à ma survie, mais j'ai trouvé encore mieux qu'un simple logement où échapper au bruit et aux nuisances ; quelque chose qui ressemble autant que possible à un foyer.

Luxe inouï : avoir le sentiment d'être enfin "chez moi". Avoir de nombreuses pièces à ma disposition pour organiser réellement ma vie et mon travail – j'ai pu me faire, de manière distincte, un salon, une chambre et un home-studio, par exemple. Pouvoir errer de pièce en pièce comme un fantôme seul dans son domaine, et non pas comme un animal dans sa cage. Encadrer des affiches aux murs, accrocher des tableaux, disposer des bibelots. Le genre de choses qu'on fait une fois qu'on se pose vraiment. Il n'y a rien d'impossible au fait que je meure un jour dans cet appartement, et c'est avec cette disposition d'esprit que je m'y suis installé. Une tanière terminale.

La chaleur du bois omniprésent. Les motifs floraux, version grand public de l'Art Nouveau ou des réalisations de William Morris. On a envie de vivre là, d'aller se coucher, de jouir du silence à peine troublé par les craquements du bois qui travaille, ou par une horloge, quelque part dans la maison, à heures régulières.

La paix d'une bibliothèque. Un cimetière de livres qui rêvent paisiblement dans leur cercueil de cuir. Reliure, sépulture. Pour travailler, précisément, dans une bibliothèque publique, je sais que des détails aussi concrets, aussi vulgaires, que l'ameublement, le type de classement, la présentation des ouvrages... influe sur l'envie, ou non, de papillonner dans les rayonnages, de se laisser tenter par un livre inconnu – ou non.

J'ai toujours rêvé d'avoir la place et le mobilier nécessaire pour laisser traîner, partout, des bouquins, des journaux intimes, des brouillons, des croquis, des notes... N'avoir jamais à faire plus d'un mètre ou deux pour griffonner ce qui me passe par la tête, sans dégainer mon smartphone et attendre que Google Keep veuille bien se lancer, se mettre à jour, et m'ouvrir un nouveau document. Où sont passés les manuscrits, dans nos existences ?

En repensant à mes compagnes passées, sur ces vingt dernières années, je m'aperçois que pour certaines je n'ai quasiment jamais vu leur écriture. Je serais parfaitement capable de ne pas la reconnaître, au milieu d'autres. Comment en sommes-nous venus à mettre une chose aussi personnelle, aussi unique que cela, de côté ? Je ne suis pas de ceux qui poussent une exclamation convenue au sujet de la fameuse odeur des livres dès qu'on parle de tablettes, de PDF etc. Je suis le premier à passer ma vie entre deux mails, deux articles de blogs, deux documents Libre office ou Notepad +, et j'adore ça. Mais il faut reconnaître aussi que c'est fatiguant, moins immédiat que le papier, et que cela ne laissera quasiment aucune trace.

Personne, à ma mort, n'ira faire des recherches pour voir si j'ai un compte Evernote avec des romans inédits dessus, ou des révélations fracassantes sur un sujet quelconque. Et si l'on peut avec nostalgie et attendrissement rouvrir un vieux Moleskine bourré de notes et de croquis, on revient rarement sur ses anciens documents Word.

Je schématise, certes... Mais quel luxe, donc, dans cette maison obscure et hantée, représentent tous ces grimoires et ces journaux qui traînent, exemplaires uniques, infiniment fragiles et donc précieux, portant l'écriture manuscrite de leur auteur, et à ce titre, presque une extension de leur corps autant que de leur esprit.

Et franchement, qui imagine un Necronomicon au format PDF ?

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