C'est curieux comme le genre horrifique peut avoir, et je ne suis sans doute pas le seul à l'éprouver, une dimension réconfortante. Quand je relis Ça ou Shining, ce n'est pas pour éprouver de l'angoisse, encore moins de l'horreur ; quand je revois pour la millième fois In the Mouth of Madness, ce n'est pas pour mourir mentalement à petit feu comme le personnage de Sam Neill, réalisant progressivement que la nature du réel est bien, bien différente, et bien plus noire, bien plus folle que tout ce qu'il pouvait imaginer. Qui voudrait s'infliger une chose pareille ? Tout homme cherche le bonheur, même celui qui va se pendre, nous dit Pascal. Quand je consomme, pour utiliser un bien vilain mot, de l'horreur, c'est pour me sentir bien. Pour retrouver une bonne vieille esthétique, de bons vieux thèmes, un bon vieux temps, un bon vieux quelque chose à quoi ce genre me reconnecte et qui manifestement me manque dans la vie quotidienne. Mais qu'est-ce donc, exactement ?
Au moment où je me retrouve une fois de plus dans ce grenier où débute Alone in the Dark, le bien-être est total. N'est-ce pas un beau grenier ? Bien propre, bien rangé, le genre qui doit centir la cire et les vieux bouquins, et dans lequel tout enfant a envie de passer du temps à fouiller les cartons et les meubles à la recherche de trésors ? C'était l'un de mes passe-temps quand j'étais gosse ; mes grands-parents n'avaient pas de grenier, mais une pièce de leur maison, inutilisée, était meublé de vieux bahuts remplis à craquer de bric-à-brac comme seuls les grands-parents d'autrefois (qu'ont-ils dans leurs tiroirs Ikea, ceux d'aujourd'hui ? Des plugs anaux connectés roses fluo ?) comme seuls les grands-parents d'autrefois, donc, savaient en amasser, ne jetant jamais rien, car on ne sait jamais...
Bref je passais une bonne partie de mon temps, enfant, à fouiller les vieux meubles à la recherche de tout objet mystérieux du passé, ou à défaut d'un truc que je pourrais chiper et qui pourrait être utile – ainsi, j'avais trouvé, adolescent, une boîte de cigarillo antédiluviens que je m'étais appropriés et que j'avais fumés méthodiquement en me promenant dans les rues de ma ville, finissant la boîte, je m'en souviens, en discutant de la mort de notre ami Jérôme avec une connaissance commune. Et la mort d'un adolescent dans un accident de voiture est une horreur qu'aucun jeu vidéo pixellisé ne peut battre. Et Jérôme était le seul gosse du coin à avoir un PC où tournait, notamment, Alone in the Dark – car tout se tient.
Ce grenier où débute le jeu me rappelle tout ça, ainsi que des rêves que j'ai pu faire, et que j'ai notés. Comme la cave, le grenier est dans le langage symbolique de la psyché une pièce puissamment importante : c'est la tête de la maison, l'endroit où sont stockés les souvenirs, les ancêtres... Il peut y avoir des zones d'ombres, mais le grenier est un lieu d'intelligence, de mémoire, de conscience. La cave, elle, est toute d'ombre, d'humidité, de crasse, c'est le lieu des pulsions, du mal, de la honte, et Alone in the Dark, volontairement ou non, nous propose tout-à-fait intelligemment de descendre du grenier hyper-civilisé des années 20 où vit le héros-détective, jusqu'au sous-sol de l'histoire humaine et même cosmique, où grouillent les saletés impies.
Je n'ai jamais tellement cherché à finir le jeu ; les monstres lovecraftiens ne m'intéressent pas tellement, au fond, ils ne sont là pour moi, finalement, presque uniquement pour accentuer, par contraste, le côté attirant et réconfortant du monde des années 20 – comme la quasi-discrète tentacule sur la couverture de la 4e édition de L'Appel de Cthulhu, où se dresse une superbe vieille maison américaine, que je confonds d'ailleurs dans mon imagination avec celle d'Alone in the Dark, visible de l'extérieur dans la cinématique qui ouvre le jeu.
En vérité je la trouve adorable cette maison, c'est par mille aspects la vieille maison archétypale, où on se sent comme chez Mamie, la maison où je n'ai jamais vécu mais où j'ai l'impression d'avoir pourtant d'innombrables souvenirs, et qui me manque. C'est dans cette maison que je m'imagine retourner vivre un jour pour y finir ma vie, tout en sachant que ça n'arrivera jamais. À côté de tout cela, Yog Sothoth fait bien pâle figure.
Oui, l'horreur a ce même côté rassurant que le fait d'être bien à l'abri derrière une fenêtre alors que la pluie et le tonnerre font rage dehors :)
RépondreSupprimerJe crois que je n'ai jamais rejoué à Alone in the Dark depuis l'époque où il est sorti... il faudrait que je reteste ça.
Je n'y ai jamais joué à l'époque mais j'avais un copain qui l'avait et m'obligeait à le regarder jouer (à ça et à d'autres trucs comme ISHAR) pendant des heeeeeuuuuures. Le côté die and retry de "Alone in the Dark" me fatigue vite, mais j'essaierai quand même de progresser juste pour visiter la maison. Dans le genre bonne vieille maison archétypale d'histoire d'horreur, où l'on se sent bien, celle tout au début de "Call of Cthulhu : Dark Corners of the Earth" est particulièrement cool aussi. J'en publierai des screenshots un de ces jours, d'ailleurs.
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