mercredi 12 janvier 2011

12 janvier 2011



J'ai écrit à vingt-trois ans un mémoire de Maîtrise sur l’œuvre de Houellebecq, dont l'une des grandes caractéristiques est le trajet de vie du personnage principal, qui après des tribulations sentimentales, professionnelles et autres, après avoir fait maintes rencontres et assisté à des scènes portant en elles la vérité, et de son époque dans ce qu'elle a de spécifique, et de la vie dans sa vérité nue, éternelle, renonce à sa vie pour se contenter d'écrire son témoignage. Ironiquement, à moins de quarante ans, c'est plus ou moins le point que j'ai atteint moi aussi.

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J'ai relu Plateforme ces jours-ci, et s'il est indéniable que ce roman m'a "sauvé la vie", ou en tous cas, sauvé d'un gros chagrin, je dois dire que cette nouvelle relecture – peut-être parce que La Carte et le Territoire me les a faites voir en gros plan, une bonne fois – m'a avant tout fait sauter aux yeux les ficelles de l'écriture Houellebecquienne.

Après dix ans de relectures, il était peut-être temps, me direz-vous ; mais au fond je crois que je déteste analyser, déconstruire, recontextualiser les œuvres, quelles qu'elles soient. Je reste et veux rester un lecteur, un spectateur, un auditeur lambda, impressionnable et fonctionnant à l'affectif et à l'identification. Parce que sans ces aspects-là les arts n'ont aucune efficacité et donc aucune raison d'être ; ni la littérature, ni la musique, ni la peinture ne sont apparues dans les cavernes, entre deux chasses au mammouth, pour donner du grain à moudre aux universitaires, dirais-je en simplifiant, si j'étais le poujadiste anti-intellectuel que je suis.

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C'est peut-être ça, cette désillusion, ce désenchantement – au sens propre : qui a oublié les authentiques transes qu'il a connu en écoutant de la musique, adolescent ? – qui m'a tellement lassé des scènes musicales dans lesquelles j'ai évolué depuis une quinzaine d'années, jusqu'à ne plus pouvoir en entendre parler : quand on connaît les "secrets de fabrication" des disques, quand on connaît l'histoire des mouvements, la généalogie des genres et des sons, quand on a connu les gens eux-mêmes, ce qu'ils sont individuellement comme dans leurs relations au sein du milieu, et dont on se demande si c'est la banalité ou la médiocrité qui les caractérisent essentiellement (et je m'inclue à tout cela), forcément, la magie de l'écoute est un peu atténuée.

A quinze, seize ans, j'étais maladivement fan de Dead Can Dance ; cela virait à l'obsession, j'en venais à rêver d'eux la nuit, à les dessiner, à écrire sur eux, c'était OK Podium ; et la rareté des informations disponibles sur eux à l'époque, et encore plus, des photos d'eux, permettaient tous les fantasmes, toutes les appropriations personnelles de leur œuvre, mais d'eux-mêmes aussi, en tant que musiciens et personnages quasi-imaginaires, surhumains en tous cas. Évidemment, après dix ans d'Internet et de presse "gothique" détaillant leur histoire, leurs prises de bec, leurs participations à des B.O et autres banalités, ils n'ont plus de zone d'ombre pour moi, ni rien de fascinant – des gens, très doués, qui font de la musique, et rien de plus.

Une chambre avec des posters, des livres, une chaine hi-fi et un lit où se pieuter ; voilà qui est très largement suffisant, comme interface avec le monde.