vendredi 27 mars 2015

La volatilité du fun

J'ai joué à quelques très mauvais jeux ces jours-ci, et je ne crois pas exagérer en disant que c'est une expérience profondément déprimante.

Je fondais de grands espoirs sur Might and Magic 6, alléché par le nombre d'heures de jeu promises, le nombre de quêtes, etc... Je me voyais déjà combattre et looter et leveller patiemment, après le travail, jour après jour... et en fait j'ai abandonné au bout de quelques heures, me rendant compte que taper, looter et progresser ne suffit pas (quelle découverte ! mais que cherchais-je réellement, alors ?) et que ce jeu n'est rien d'autre qu'un jeu de baston déguisé en RPG - il n'y absolument pas de dialogues, et donc aucune notion de "roleplay ", rien qui ressemble un tant soit peu à de la vie quotidienne, pas d'objets à manipuler pour agir sur le monde, rien, rien d'autre que taper sur des centaines, des milliers, des millions d'ennemis pour progresser de zone en zone. Mais à quoi bon ?

Ce jeu est sorti en 1998, soit six ans après Ultima 7, dont je ne rappellerai pas ici en détail à quel point il propose un univers complet, vivant, incroyablement attachant.

Bref : désinstallation.

Mais peut-être les graphismes sont-ils aussi en cause ? On pardonne beaucoup de choses aux élèves mignons, c'est un fait reconnu, et il en va de même pour les jeux. Au moins, dans un jeu beau, on peut toujours se promener, jouir des décors, du simple fait d'être là. Je dois avouer que c'est ce que je ressens face à Skyrim : je me balade et découvre peu à peu les lieux, qui sont parfois très beaux. Et à aucun moment, jusqu'ici, je n'ai ressenti l'envie de me jeter dans la quête principale, ni dans quelque quête que ce soit, d'ailleurs - et même pas de me battre ou de looter pour faire progresser mon personnage. C'est étonnant, c'est absence d'incitation à jouer – alors que je suis un fanatique de Morrowind, qui, je crois, prend encore moins le joueur par la main.

Et ceci même alors que contrairement aux jeux cités plus hauts, Skyrim propose un peu plus de roleplay et de vie quotidienne, de manipulation d'objets, de métiers, de relations avec les PNJ, etc.

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Contre-exemple absolu : j'ai passé plusieurs heures hier soir à m'éclater sur Caves of Qud, un roguelike post-apocalyptique. S'il y a un scenario je n'ai pas eu le temps de le découvrir, vu que c'est le genre de jeu où l'espérance de vie est de 15 minutes, quand on a de la chance – mais explorer la map, combattre et progresser peu à peu, ramasser de la nourriture, des objets, survivre, tout simplement, se sont avérés une motivation suffisante. Et je pense que je vais le poursuivre, apprendre patiemment à y faire mon trou.

Alors au final, qu'est-ce qui rend un jeu fun, ou pas ? Qu'est-ce qui fait qu'on a envie d'y passer des heures ? De suivre les missions, d'aller au bout, de surmonter les difficultés, bref, de jouer le jeu ?

Et qu'est-ce qu'un beau jeu ? Je trouve MM6 hideux et Wasteland 1 superbe (et Wasteland 2 très laid), mais y-a-t-il quoi que ce soit de rationnel, de "théorisable" là-dedans ?

Ce sont des questions auxquelles je n'ai absolument pas de réponse mais qu'il faudrait que je me pose sérieusement si je veux en créer moi-même, des jeux...

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Dans ma quête déprimée de bons jeux, j'ai craqué pour Age of Decadence – 20 euros, quand même. La démo m'avait laissé un souvenir amer et circonspect, l'argument "ouais mais c'est un RPG hardcore " ne m'ayant jamais paru excuser une difficulté réglée beaucoup trop haut, du moins si l'on prend en compte le fait qu'il n'existe aucune notion de hasard dans le jeu, ni aucun moyen de progresser petit à petit avec des quêtes récurrentes ou aléatoires – en gros, donc, si l'on a pas calculé la meilleure build possible pour son personnage, on ne réussira aucune quête et on aura aucune chance de progresser petit à petit. Et je ne joue pas à un RPG pour trouver je ne sais quelle équation parfaite.

Le jeu est sympathique, ceci étant, j'aime assez les graphismes, le lore est manifestement très soigné et développé, original, c'est le genre de jeu que l'on aimerait aimer – mais il faut une dose de masochisme que je n'ai pas. Il est bien entendu possible aussi que je sois nul, et c'est même sûrement le cas. Mais même un RPG hardcore devrait être hardcore d'une autre manière que mathématique...

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Une chose que j'ai trouvée intéressante, ceci dit – mais dans mon optique de développeur : il n'y a pas de continuité spatio-temporelle absolue dans le jeu, qui s'évite ainsi beaucoup de travail probablement inutile ; on choisit telle option de dialogue, et hop, on se retrouve dans un autre lieu, entouré d'ennemis, ou chez un PNJ à qui parler. Sans être obligé réellement de faire tout le chemin – c'est à dire sans obliger les développeurs à concevoir tout un espace continu entre les lieux. Et au fond, ce sont les situations qui sont intéressantes – pas chaque seconde, ou chaque mètre parcouru qui y mènent.

Ce qui viole un peu le quasi-dogme qu'est devenu l'open world, j'en ai conscience - du moins si l'on considère qu'open world signifie nécessairement map entièrement ouverte et sans discontinuité.

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Dans la foulée je me suis remis à Anachronox, auquel j'avais joué dix minutes il y a quelques années, et j'ai été conquis : pur fun, zéro réflexion ou presque – au sens où il n'y a pas de puzzles énervants ni de séquence où il faut deviner ce que l'on doit faire – et on ne BLOQUE pas le joueur quand il échoue dans une séquence d'action ; on lui propose de passer outre, et les fous du joysticks, eux, peuvent recommencer. Et tout ça, c'est exactement ce qu'il faut faire. Le manque de liberté, d'embranchements multiples, de roleplay pur, etc, ne se fait pas sentir parce que l'histoire est chouette, les dialogues hilarants et très bien écrits, les persos attachants et le monde agréable à explorer, chapitre après chapitre.

Quelques idées concernant les combats

Tout ceci m'amène à lister quelques principes qui me semblent valables quel que soit le type de jeu, mais évidemment, ils rajoutent  de la complexité ; je ne me fais donc pas d'illusion, il est très improbable de voir un jour un jeu vidéo ou une fiction interactive s'y conformer :

• Pas de game-over : la mort doit être exceptionnelle – elle est trop souvent infligée par facilité ou manque d'imagination. Au lieu de mourir après chaque combat perdu, le personnage-joueur peut tout aussi bien être capturé et devoir s'évader ou attendre d'être libéré – ou bien passer plusieurs semaines sur un lit d'hôpital, sans aucune prise sur le monde et ce qui s'y passe. Une quête échouée ne devrait pas non plus donner envie envie au joueur de recharger sa dernière sauvegarde : l'histoire devrait continuer AUSSI riche que si la quête avait réussi ; mais différemment, c'est tout.

• Les combats doivent exploiter toutes les positions physiques possibles (debout, au sol, caché, etc) et tous les objets ou éléments de décor : pousser un type dans la mer, pousser quelqu'un dans les escaliers ou par la fenêtre, assommer son ennemi puis l'abandonner (dans un lieu mortel en soi, comme le désert)

• Ils doivent être dynamiques, réalistes ; sûrement pas deux personnages immobiles ou presque, debout l'un devant l'autre, qui se frappent jusqu'à ce que l'un des deux meurent.

• Il doit être possible de dialoguer pendant les combats, pour demander grâce, négocier, menacer. D'éviter un combat en négociant, quitte à même se rendre.

• Le combat ne devrait être ni incessant au cours du jeu, ni le moyen principal par lequel le joueur expérimente la difficulté du jeu, et la progression de son personnage.