mercredi 10 juin 2015

Circuit's Edge

Je joue, ces jours-ci, à un bon vieux jeu d'aventure, avec des morceaux de RPG dedans, appelé Circuit's Edge. Une enquête policière dans un setting arabo-cyberpunk – ce qui a le mérite d'être original, tout en ayant un petit côté burroughsien, époque Le Festin Nu, avec une omniprésence des drogues et du sexe – sous toutes ses orientations, et avec tous les "genres" concevables – carrément inhabituelle dans le monde du jeu vidéo, aujourd'hui comme à l'époque.



Le jeu est à interface textuelle, même si on n'entre pas de phrases comme dans un jeu à parser – il s'agit d'un menu déroulant, comme on peut en trouver dans Le Manoir de Mortevielle. Ce qui a le mérite de cadrer d'emblée l'action (pas de doutes sur ce qu'on peut / ne peut pas faire), même s'il subsiste des ambiguïtés – en lisant le walkthrough on se dit par moments, "tiens, je pouvais faire ça, de telle manière biscornue ?", et c'est dommage. Le jeu reste néanmoins plutôt aisé d'utilisation et intuitif.



Les graphismes sont minimalistes (une vue en FPS lorsqu'on se balade dans la rue, puis une image d'ambiance, agrémentée d'un portrait si on parle à un PNJ, lorsqu'on se trouve dans un lieu) mais ont une réelle identité, installent une ambiance et à vrai dire, me font angoisser face à ma propre absence totale d'images dans mes projets de jeu. J'ai toujours considéré que mes petits mondes imaginaires étaient trop difficiles à illustrer, mais au fond, qu'est-ce qui compte ? La fidélité à mes images mentales (que rien ne pourra m'enlever de toutes manières), ou donner au joueur quelque chose qui lui fasse voir, sentir, vivre, habiter le monde du jeu, quitte à être lacunaire ?



Chose rare encore dans un jeu textuel (mais en est-ce vraiment un, en réalité ?), le temps du jeu s'écoule... en temps réel. Il y a de quoi être surpris quand on laisse le jeu tourner en fond, pour surfer un peu sur le web, et que soudain, on entend son téléphone sonner, parce que tel PNJ veut qu'on lui livre telle marchandise louche...



Avec une bonne soixantaine de lieux à visiter (bars louches, commerces en tous genres et immeubles d'habitation, essentiellement, plus quelques lieux en dehors de la ville, comme des docks, ou un cimetière) le jeu donne vraiment l'impression, sans être immense, d'une vraie ville vivante à visiter, à apprivoiser – les PNJ ont leur emploi du temps, et dans les rues, les passants vont et viennent, et on peut les aborder. Les ruelles sont peuplées de loubards qui attaquent par surprise et de mendiants. Là aussi j'ai pris une leçon : pas besoin de créer 2000 lieux, pas besoin d'être bavard ou excessif, pour installer une ambiance et l'émerveillement du joueur devant un environnement à découvrir.



Quand à l'enquête en elle-même, à part certains passages auxquels je n'aurais jamais rien compris sans lire le walkthrough, elle est plutôt logique et intéressante. Pas de puzzles capillotractés ; on suit une piste, d'indice en indice, d'indic en indic – avec ce plaisir un peu archaïque de prendre des notes à la main, puisque le jeu n'a pas de journal de quête et autres gadgets modernes.

À noter que la forme de l'enquête héritée du roman policier est largement plus intéressante que celle de la quête au sens RPG du terme (la fameuse fetch-quest étant son archétype absolu, le plus navrant, et le plus courant), où l'on trouve rarement des rebondissements et où le joueur est rarement embarqué malgré lui dans des complications, des péripéties, et élargissement de l'histoire et des enjeux – ici, on va de surprise en surprise, de rebondissement et ennuis supplémentaires, et le jeu n'est pas une liste de courses où l'on ne fait que ce que l'on veut, sans conséquences.