samedi 18 décembre 2010

Fictions interactives

Je travaille depuis quelques semaines à ce qu'on appelle une "fiction interactive".

En gros, un jeu d'aventure textuel, pas forcément entièrement textuel (il peut y avoir des illustrations) mais dont le fonctionnement, le gameplay, sont entièrement basés sur le texte.

Un monde dans lequel les événements, les personnages, bref, tout est décrit par du texte, et où le joueur entre des commandes textuelles pour agir.

Ça peut sembler ultra primaire, mais les capacités des ordinateurs actuels, par rapport à ceux des années 80 – où sont sortis les grands standards de ce genre, par exemple, sur CPC, La Secte Noire, Omeyad, Sram 2, Orphée – et les possibilités offertes par les langages modernes de programmation, comme Inform7, que j'utilise, rendent les jeux quasiment infinis en terme de taille et de complexité.

Ainsi j'en suis, pour l'instant, car ça va encore grandir, à pas moins de 520 lieux où le joueur peut se déplacer. Rien ne m'empêche, à part le temps de travail, d'en ajouter encore le double ou le triple, ou dix fois, pour créer un monde ou une ville riche et explorable dans ses moindres recoins. Avec un nombre tout aussi virtuellement infini de personnages non-joueurs et d'objets à manipuler, de missions et d'intrigues secondaires, bref, comme sur Zombo.com il n'y a pas d'autre limite que l'imagination.

Évidemment, je ne détesterais pas avoir sous la main un illustrateur au cerveau directement branché sur le mien, qui donnerait une existence objective, immédiate, visuelle, à ce que j'essaie maladroitement de traduire en phrases. Mais avoir un outil aussi puissant qu'Inform7, et aussi simple d'utilisation, est déjà inespéré.

Le langage de programmation ressemble au langage humain. Sa syntaxe est assez rigoureuse, mais une fois qu'on a pris certains réflexes, ça va tout seul.

Exemple : 

MaisonChefChambre is a room. It is north from MaisonChefCouloir. The printed name is "Dans la chambre à coucher". The description is "[if unvisited]Vous entrez dans la chambre à coucher de ce qui fut autrefois le couple Bauer. Les armoires sont ouvertes, leur contenu renversé au sol, profané. Le lit a servi de latrines. Ceux qui sont venus ici ont manifestement tout fait pour souiller ces lieux.[otherwise]Vous êtes dans la chambre à coucher. Les armoires sont ouvertes, leur contenu renversé au sol, profané. Le lit a servi de latrines.".

Code qui définit l'existence d'une pièce (MaisonChefChambre), son nom à l'écran et son texte descriptif, avec des variables (le texte variant si la pièce a déjà été visitée, ou pas). Admirons l'économie de moyens !

Un autre : 

Every turn when the Prostituee is in the location of player:
If a random chance of 1 in 10 succeeds
begin;
say "[one of]La fille vous sourit d[']un air aguicheur.[or]La fille : 'Tu veux venir, mon loup ?'.[or]La prostituée s[']allume une cigarette en soupirant.[or]La prostituée a l[']air épuisée, la nuit va être longue ; vous avez pitié d[']elle.[or]La fille, d[']une voix geignarde : 'T'aurais pas un peu de gnôle ?'.[or]La fille se recoiffe, tenant d[']une main un petit miroir ovale.[or]La fille fait un signe de la tête, discret, à son souteneur qui se tient au loin.[or]La fille sourit aux hommes qui passent, les regardent de la tête aux pieds, sans pudeur.[or]La prostituée passe ses doigts dans ses cheveux, soupire.[or]La fille vous sourit d[']un air un peu triste.[in random order]";
end if.

Code, ici, qui permet d'afficher aléatoirement, lorsque le joueur se trouve en présence de tel personnage non-joueur, des messages d'ambiance, purement gratuits, mais qui installent une impression de vie, d'autonomie du monde du jeu.

Là aussi, code minimal, pour quelque chose qui apporte vraiment au jeu – et dans un langage tellement proche de l'humain qu'il ne nécessite aucun apprentissage en temps que tel. Le manuel du soft est suffisant pour la plupart des cas où la syntaxe pose un éventuel problème.

Je me fais donc plaisir à créer une ville aussi étendue et riche que possible, où le joueur puisse mener une vie absolument non-linéaire. Peut-être essaierai-je (techniquement, c'est un peu plus coton, mais faisable) de prendre modèle sur GTA, dans le genre "liberté totale / pas de fin". Et pourquoi pas travailler sans cesse à augmenter le jeu, en envoyant les updates à mes joueurs, qui pourront, sans perdre leurs sauvegardes, avoir sans cesse de nouveaux lieux à explorer, de nouveaux objets, de nouvelles situations à découvrir.

En attendant qu'un langage soit assez simple et puissant pour générer ces nouveautés tout seul.

*

Ceci étant :

Je considère les fictions interactives comme un authentique genre ludique, à part entière, mais aussi comme un authentique genre littéraire – elles pourraient être au 21ème siècle, ce que le roman fut au 19ème et au 20ème ; un lieu d'exploration du réel et des problématiques humaines, et de réflexion, voire de proposition (politique, philosophique) où une identification encore accrue du "lecteur", et même une forme cyber-bovarisme rendront la chose encore plus efficace.

À condition de faire muter, donc, le roman lui-même, en y intégrant tout ce que les F.I ont de labyrinthique, de variant, d'aléatoire, mais aussi de redondant, de bogué, de limité – parce que c'est aussi , au même titre que la narration traditionnelle, mais à un autre niveau, une image fidèle de la réalité.

J'imagine un livre – peut-on encore dire un roman ? mais au fond quelle importance – dont le texte ressemblerait à un code-source de jeu vidéo.

Une langue économe, précise, systématique, ordonnée, hiérarchique, qui, sans ces foutus effets de style qui pourrissent la littérature – et qui ne sont pas "le style" – instaure un monde.

Un texte qui intègre les différents niveaux de conscience et de réalité que nous traversons tous tous les jours – les actes quotidiens, mécaniques, presque inconscients – la rêverie, les souvenirs – le rêve éveillé que sont les mondes virtuels en 2D ou en 3D, etc.

Il ne s'agit pas de "faire de la science-fiction". Il ne s'agit pas de gadgets ou de procédés littéraire pour être dans l'air du temps.

J'ai commencé ce midi la lecture d'un roman qui en quelques phrases dit ça mieux que je ne le pourrai :

"Le codage, c'est tout ce que la poésie représentait pour moi du temps où nous étions en fac. Précision, éloquence, puissance, exhaustivité. Quatorze lignes peuvent te remplir l'intégralité de l'univers."

Dieu a écrit le code-source de l'univers. Rien ne nous interdit de l'imiter.

Interactive fictions

I've been working for a few weeks on what is called an "interactive fiction".

Basically, a text-based adventure game, not necessarily entirely text-based (there may be illustrations) but whose operation, whose gameplay, is entirely text-based.

A world in which events, characters, in short, everything is described by text, and where the player enters textual commands to act.

It may sound ultra primitive, but the capabilities of today's computers, compared to those of the 80's - when the great standards of this genre were released, for example, on CPC, The Black Sect, Omeyad, Sram 2, Orphée – and the possibilities offered by modern programming languages, such as Inform7, which I use, make the games almost infinite in size and complexity.

So I am, for the moment, because it will grow again, at no less than 520 places where the player can move. Nothing prevents me, apart from the work time, from adding twice or three times as many, or ten times as many, to create a world or a city that is rich and explorable in its every corner. With an equally virtually infinite number of non-player characters and items to manipulate, missions and subplots, in short, as on Zombo.com there is no limit other than the imagination.

Of course, I wouldn't hate to have an illustrator with a brain directly connected to mine, who would give an objective, immediate, visual existence to what I'm clumsily trying to translate into sentences. But having a tool as powerful as Inform7, and as easy to use, is already unhoped-for.

The programming language resembles the human language. Its syntax is quite rigorous, but once you get the hang of it, it works on its own.

Example:

HeadRoomHouse is a room. It is north from MaisonChefCouloir. The printed name is "In the bedroom". The description is "[if unvisited]You enter the bedroom of what was once the Bauer couple. The cupboards are open, their contents spilled on the floor, desecrated. The bed has been used as a latrine. Whoever came here obviously did everything they could to defile this place. You are in the bedroom. The cupboards are open, their contents spilled on the floor, desecrated. The bed has been used as a latrine[end if]".

A code that defines the existence of a room (HeadRoomHouse), its name on the screen and its descriptive text, with variables (the text varying if the room has already been visited, or not). Let's admire the economy of means!

Another one: 

Every turn when the Prostitute is in the location of player:
If a random chance of 1 in 10 succeeds
begin;
say "[one of]The girl smiles at you with a teasing look. The girl: 'Do you want to come along, my wolf? The prostitute lights a cigarette and sighs. The prostitute looks exhausted, the night is going to be long; you feel sorry for her. The girl, in a whining voice: 'Do you have some booze? [The girl brushes her hair back, holding a small oval mirror in one hand. The girl nods discreetly to her pimp, who is standing in the distance. The girl smiles at the men who pass by, looking at them from head to toe, without modesty. The prostitute runs her fingers through her hair, sighs. The girl smiles at you with a slightly sad look. In random order";
end if.

A code, here, that allows to display randomly, when the player is in the presence of a non-player character, some ambiance messages, purely free of charge, but that give an impression of life, of autonomy of the game world.

Again, minimal code, for something that really brings to the game – and in a language so close to human that it requires no learning as such. The manual of the software is sufficient for most of the cases where the syntax is a possible problem.

So I'm enjoying creating a city as large and rich as possible, where the player can lead an absolutely non-linear life. Maybe I'll try (technically, it's a bit more difficult, but feasible) to take a model from GTA, in the "total freedom / no end" genre. And why not work constantly to increase the game, by sending updates to my players, who will be able, without losing their saves, to constantly have new places to explore, new objects, new situations to discover.

Until a language is simple and powerful enough to generate these new features by itself.

*

That being said:

I consider interactive fictions as an authentic ludic genre, in its own right, but also as an authentic literary genre – they could be in the 21st century, what the novel was in the 19th and 20th; a place of exploration of reality and human problems, and of reflection, even of proposal (political, philosophical) where an even greater identification of the "reader", and even a form of cyber-bovarianism will make the thing even more effective.

On the condition that we mutate the novel itself, by integrating into it all that the F.I. has of labyrinthine, of variant, of random, but also of redundant, of buggy, of limited – because it is also, in the same way as the traditional narration, but at another level, a faithful image of reality.

I imagine a book – can we still say a novel? but in the end what does it matter – whose text would resemble a video game source code.

A thrifty, precise, systematic, ordered, hierarchical language, which, without those damn stylistic effects that rot literature – and which are not "style" – establishes a world.

A text that integrates the different levels of consciousness and reality that we go through every day – the daily, mechanical, almost unconscious acts – daydreaming, memories – the waking dream that are the virtual worlds in 2D or 3D, etc.

It is not a question of "making science fiction". It is not about gimmicks or literary processes to be in the air of time.

I started reading a novel this afternoon that says it better than I can in a few sentences:

"Coding is everything that poetry meant to me back when we were in college. Precision, eloquence, power, completeness. Fourteen lines can fill you with the entire universe."

God wrote the source code for the universe. There is nothing to stop us from imitating him.

jeudi 16 décembre 2010

Strange excitement

The other night when I got off work, after spending my day in a chair typing code for my game and spending my time on obsessive pursuits, like "searching for all the photos of Miami available on Google", I found myself in a strange kind of excitement – physical, nervous, mental, even sexual. I know this state that happens to me from time to time, this long mental orgasm, this exaltation without cause or purpose, this torrent of thoughts, fantasies, visions and stories, memories, that overwhelms me.

I was walking through the streets, it was dark and the smallest building porch, the smallest illuminated window, the most miserable garden and the most kitschy illuminated sign delighted me like a whole new world to discover, like promises of infinitely numerous adventures – as if every street and alley, as if every street and alley, every doorway, every corner was waiting for me to explore, to make it my own, as if the whole city and its inhabitants were waiting for me to start stories, as if the whole of life was one big playground to play in.

It must be the GTA Vice City effect or the video game effect in general, I've already talked about it and it's something I'm working on a lot at the moment. I play a lot, by the way, Vice City, The Path, Minecraft, games that are very different from each other, but each one teaches me something about gameplay, about what a game is, about why you play, for what purpose, for what benefit in your life.

I believe that video games and the attention, the curiosity they demand, have a positive effect on real life – far from locking us into a virtual world, they make us more curious and attentive, we start to adopt in real life the "explorer" state of mind we have when we play. It happened to me, while walking in the evening, and while emerging in an unknown district, to feel this exaltation which one also has while discovering new places in a video game. This impression of having a space in front of you to discover and exploit, this impression that you are here and now and that anything can happen, that you are there to make things happen. Who can claim to experience this on a daily basis, naturally? It's the opposite, most of us live on autopilot and don't even see the streets anymore as we move from one point to another, always the same, during our days.

I dream of a new generation of video games that relearn how to live, how to see the world, how to reinvest in it, how to make it a place of adventure rather than the infinite repetition of the same.

*

Talking about this with Eric recently, I joked that if he got into 3D, he would just have to create a kind of infinite forest where we could hide from the modern world and take a breather to think collectively about the counter-offensive - mental, spiritual, that is. The idea did not displease him.

Yes, I believe that we are no longer in the era of leaflets and propaganda papers, nor of meetings or any of the other procedures of the revolutionaries (and the powers that be) in the twentieth century. The official world in which we live, as well as the history we have learned, our values, our ways of life, our collective enemies and fears, our priorities, our way of living and dying, is a narrative, a fiction and an aesthetic elaborated by someone or by no one, but a myth in which we live – and it's normal, Man needs it.

Tomorrow's video games, God willing, will be, among other things, counter-narratives, not only of other worlds, but of counter-worlds with infinitely many functions and purposes.

As I had already written one day, the only true Contemporary Art, according to the very criteria of contemporary art (multidisciplinarity and multimedia, ludic aspect, participation of the public, references to the common contemporary culture, etc), is the video game.

To him therefore to recover also all the functions formerly devolved to all the arts.

We will no longer die to save a cathedral, a painting, or to defend a play, we will no longer go to war to imitate the hero of a novel, we will no longer look for answers to our intimate questions in a novel, we will no longer go to the movies to live adventures by proxy. We will really live them; in front of a screen too, but really. And we will find answers about ourselves.

*

I'm working on a game myself at the moment, an entirely text-based game – instead of images, we have text that describes the places and events that follow one another, and the player types in text to act, for example "go north, open cabinet, search cabinet, take book", etc. I'd like to succeed in programming a real little Matrix, with as many random elements as possible, with characters free to move, with the need to eat, to sleep, with the weather changing, with the possibility if you want to go to the north, to open a cabinet, to search a cabinet, to take a book, etc.

I would like to succeed in programming a real little Matrix, with a maximum of random elements, with characters free to move around, with the need to eat, to sleep, with a changing weather, with the possibility, if you want, to do nothing else but walk around and live, and to establish relationships with the world and its occupants. But also to have adventures if you want. I think I'll be able to do that. This will be my first work as a demiurge.

Excitation étrange

L'autre soir en sortant du travail, après avoir passé ma journée sur une chaise à taper du code pour mon jeu et avoir passé mon temps à des occupations obsessionnelles, du genre "chercher toutes les photos de Miami disponibles sur Google", je me trouvais dans une sorte d'excitation étrange – elle physique, nerveuse, mentale, sexuelle, même. Je connais bien cet état qui m'arrive de temps à autres, ce long orgasme mental, cette exaltation sans cause ni but, ce torrent de pensées, de fantasmes, de visions et de récits, de souvenirs, qui me submerge.

Je marchais dans les rues, il faisait nuit et le moindre porche d'immeuble, la moindre fenêtre illuminée, le jardin le plus misérable et l'enseigne lumineuse la plus kitsch me ravissaient comme un tout nouveau monde à découvrir, comme des promesses d'aventure infiniment nombreuses – comme si chaque rue et ruelle, chaque porte, chaque recoin n'attendaient que moi, que mon exploration, mon appropriation, comme si la ville entière et ses habitants n'attendaient que moi pour que des histoires se déclenchent, comme si la vie entière n'était qu'un grand terrain de jeu dans lequel s'ébattre.

Ça doit être entre autres l'effet GTA Vice City ou l'effet jeu vidéo en général, j'en ai déjà parlé et c'est quelque chose qui me travaille beaucoup en ce moment. Je joue beaucoup, d'ailleurs, à Vice City, à The Path, à Minecraft, jeux très différents les uns des autres, d'ailleurs, mais chacun m'apprend quelque chose sur le gameplay, sur ce qu'est un jeu, sur pourquoi on joue, dans quel but, pour quel bénéfice dans sa vie.

Je crois que les jeux vidéos et l'attention, la curiosité qu'ils demandent, ont un effet positif sur la vie réelle – loin de nous enfermer dans un monde virtuel, ils nous rendent plus curieux et attentif, on se met dans la vie réelle à adopter l'état d'esprit "explorateur" qu'on a lorsqu'on joue. Ça m'est arrivé, en me promenant le soir, et en débouchant dans un quartier inconnu, de ressentir cette exaltation qu'on a aussi en découvrant de nouveaux lieux dans un jeu vidéo. Cette impression d'avoir face à soi un espace à découvrir et à exploiter, cette impression qu'on est ici et maintenant et que tout peut arriver, qu'on est là pour faire que des choses arrivent. Qui peut se targuer d'éprouver ça quotidiennement, au naturel ? C'est le contraire, la plupart d'entre nous vivent en pilote automatique et ne voient même plus les rues où ils se déplacent d'un point à l'autre, toujours le même, au cours de leurs journées.

Je rêve d'une nouvelle génération de jeux vidéos qui réapprennent à vivre, à voir le monde, à le réinvestir, à en refaire un lieu d'aventure plutôt que de l'infinie répétition du même.

*

En parlant de tout ça avec Eric récemment, j'avais plaisanté en disant que s'il se mettait à la 3D, il n'aurait qu'à créer une sorte de forêt infinie où nous pourrions nous cacher du monde moderne et souffler un peu pour réfléchir collectivement à la contre-offensive – mentale, spirituelle, en l'occurrence. L'idée ne lui avait pas déplu.

Oui, je crois que nous ne sommes plus à l'ère des tracts et des journaux de propagande, ni des meetings ou de tous ces procédés des révolutionnaires (et des pouvoirs en place) au vingtième siècle. Le monde officiel dans lequel nous vivons, aussi bien l'Histoire apprise, que nos valeurs, nos modes de vie, nos ennemis collectifs et nos peurs, nos priorités, notre façon de vivre et de mourir est une narration, une fiction et une esthétique élaborée par quelqu'un ou par personne, mais un mythe dans lequel nous vivons – et c'est normal, l'Homme a besoin de ça.

Les jeux vidéos de demain, si Dieu le veut, seront, entre autres, des contre-narrations, non seulement des autres mondes, mais des contre-mondes aux fonctions et aux buts infiniment nombreux.

Comme je l'avais déjà écrit aussi un jour, le seul vrai Art Contemporain, selon les critères mêmes de l'art contemporain (multidisciplinarité et multimédia, aspect ludique, participation du public, références à la culture contemporaine commune, etc), c'est le jeu vidéo.

À lui donc de récupérer aussi toutes les fonctions autrefois dévolues à tous les arts.

On ne mourra plus pour sauver une cathédrale, un tableau, ou pour défendre une pièce de théâtre, on ira plus à la guerre pour imiter le héros d'un roman, on ne cherchera plus dans un roman non plus de réponses à ses interrogations intimes, on ira plus au cinéma vivre des aventures par procuration. On les vivra réellement ; devant un écran aussi, mais réellement. Et on y trouvera des réponses sur soi-même.

*

Je travaille moi-même à un jeu en ce moment, un jeu entièrement textuel – au lieu d'images, on a du texte qui décrit les lieux et les événements qui se succèdent, et le joueur tape du texte pour agir, par exemple "aller au nord, ouvrir armoire, fouiller armoire, prendre livre", etc.

J'aimerais réussir à programmer une vraie petite Matrice, avec un maximum d'éléments aléatoires, de personnages libres de leurs mouvements, avec aussi la nécessité de manger, de dormir, avec une météo qui change, avec la possibilité si on le souhaite, de ne rien faire d'autre que se promener et vivre, et nouer des relations avec le monde et ses occupants. Mais aussi de vivre des aventures si on le souhaite. Je pense que j'y parviendrai. Cela sera ma première œuvre en tant que démiurge.

samedi 27 novembre 2010

Minecraft (in English)

Read in an article about Minecraft:

"We're thrown into the world (as Heidegger would say), a senseless world that doesn't need us to exist and in which we're free to do whatever we want. The first experience of Minecraft is the absolute freedom of man in a godless world. Because, you see, most video games presuppose a god who judges us and rewards us with rank, points or access to further levels. Minecraft is perhaps the first atheistic FPS. Devoid of teleology, Minecraft's worlds only take on meaning in the relative experience of each player. One person will make sense of the world through the libido sciendi that makes him explore the world and its subsoil; another will indulge in the libido dominandi and build himself a castle from which to dominate the world. But everyone is free to give the world the meaning they wish. In this fundamental relativism, we find an echo of Lovecraft's personal philosophy."

Indeed, Minecraft throws us into an infinite world (literally, almost: I've just read that the game's surface area is equivalent to eight times that of planet Earth), overwhelming even by its sheer size, and menacing, if you choose survival mode: night falls incessantly, the days fly by, and as soon as darkness returns, monsters prowl – zombies, spiders, skeletons, with terrifying sound effects. During the day, you keep hiding, digging for minerals, chopping wood and trying to build a shelter.

Minecraft is the opposite of adventure: no beginning, no end, and even less of a moral; nothing uplifting, nothing instructive (except about nothingness, loneliness), nothing joyful – it's a game that, for a whole host of reasons I won't go into, seems to me to be very much in the spirit of our age: nihilistic and survivalist.

One of the first words that came to mind when talking about Minecraft with a friend who's an addict himself (and who doesn't agree with me at all, as everyone projects their own psychological and moral issues onto the games they play) was the adjective "humiliating".

Humiliating to see myself reduced to the survival, fear and paranoia that the game conjures up with incredible ease. Humiliating to be nothing in this infinite universe. Humiliating to see myself teleported, by the most advanced means of technical civilization, into a state of complete destitution and vulnerability (whereas Sapiens on Amstrad took us on a journey into prehistory, with its violence but also its poetry – something totally absent here). It's the opposite of adventure, yes, and the opposite of gaming, even – like Second Life.

Playing Minecraft has been a deeply unpleasant experience for me so far: even if I set the difficulty to the lowest level, i.e. no monsters at all, I find that I'm still neurotically breaking rocks and building impregnable fortresses, under the ground or high up, diverting watercourses, struggling on, waiting for night to fall, this starless night with no source of light for those who don't have torches in their inventory – hopeless. A completely obsessive, autistic activity that no longer even has a purpose, since the need for survival has disappeared – I'm only realizing this now, after several days.

So I've decided to approach the game from a different angle: difficulty at zero, no attempt to build anything. I'll be a "pure spirit" traveling on the surface of the world.

To make this world my own by simply denying the existence of danger, fear and necessity. To deny the night.

I also note that on a collective scale, since there is a multiplayer mode, resistance is being organized – that of the spirit, of the human, of civilization. I don't think anyone really wants to play Minecraft the way it is when it opens. And I'm quite fascinated by this phenomenon: a game of survival, in a blank, unforgiving, mute space, which gradually becomes a multi-player world where a civilization, cities, an economy and a social hierarchy emerge (as on Minefield, where you can become a citizen of an authentic city, get a job, put your money in the bank...).

Somewhere between Second Life and an RPG, Minecraft is changing its nature, and that's great news. Godard said that dolly shots are about morality; I think gameplay is too. Video games confront us with metaphysical and moral universes, and it's important to make a choice, as in "real life", between what we accept and what we don't accept.

Minecraft

Lu dans un article au sujet de Minecraft :

"On est jeté dans le monde (comme dirait Heidegger), un monde insensé qui n’a pas besoin de nous pour exister et dans lequel on est libre de faire ce que l’on veut. La première expérience que l’on fait de Minecraft est la liberté absolue de l’homme dans un monde sans dieu. Car, voyez-vous, la plupart des jeux vidéo présupposent un dieu qui nous juge et nous récompense en nous donnant un grade, des points ou en nous laissant accéder à d’autres niveaux. Rien de cela dans Minecraft ; Minecraft est peut-être le premier FPS athée. Dénué de téléologie les mondes de Minecraft ne prennent un sens que dans l’expérience relative de chacun. L’un donnera du sens à ce monde par la libido sciendi qui lui fera explorer le monde et son sous-sol ; un autre versera dans la libido dominandi et se construira un château depuis lequel il dominera le monde. Mais chacun est libre de donner au monde le sens qu’il souhaite. Dans ce relativisme foncier, on retrouvera un écho de la philosophie personnelle de Lovecraft."

Effectivement, Minecraft nous jette dans un monde infini (au sens propre, quasiment : je viens de lire que la surface de jeu équivaut à huit fois celle la planète Terre), écrasant même par sa simple taille, et menaçant, si l'on choisit le survival mode : la nuit tombe sans cesse, les journées passent vite et dès que le noir revient, les monstres rôdent – zombies, araignées, squelettes, aux bruitages terrifiants. La journée, on continue à se cacher, on fouille sol à la recherche de minerais, on coupe du bois, on essaye de se construire un abri.

Minecraft est l'inverse de l'aventure : pas de début, pas de fin, encore moins de morale ; rien qui n'élève, rien qui n'instruise (si ce n'est sur le néant, la solitude), rien qui ne procure de la joie – c'est un jeu qui pour des tas de raisons que je n'énumérerai pas me semble tout à fait dans l'esprit notre époque : nihiliste et survivaliste.

L'un des premiers mots qui me sont venus à l'esprit en parlant de Minecraft avec un ami lui-même accro (et qui n'est pas du tout d'accord avec moi, comme quoi chacun projette, aussi, ses propres problématiques psychiques et morales sur les jeux auxquels il joue) fut l'adjectif "humiliant".

Humiliant de me voir réduire ainsi à la survie, à la peur, à la paranoïa que le jeu fait surgir avec une facilité incroyable. Humiliant de n'être rien, dans cet univers infini. Humiliant de me voir téléporté, par les moyens les plus avancés de la civilisation technique, dans un état de dénuement et de vulnérabilité complète (là où Sapiens sur Amstrad nous faisait voyager dans la Préhistoire, avec sa violence mais aussi sa poésie – chose ici absente, totalement). C'est l'inverse de l'aventure, oui, et l'inverse du jeu, même – comme Second Life.

Jouer à Minecraft m'est une expérience profondément désagréable jusqu'ici : même en mettant la difficulté au niveau le plus bas, c'est à dire sans monstres du tout, je m'aperçois que je continue névrotiquement à casser des cailloux et à construire des forteresses imprenables, sous le sol ou en hauteur, à dévier des cours d'eau, à m'acharner, en attendant que la nuit tombe, cette nuit sans étoiles et sans aucune source de lumière pour celui qui n'a pas de torches dans son inventaire – désespérant. Une activité complètement obsessionnelle, autistique, qui n'a même plus de but, puisque la nécessité de la survie a disparu – je m'en aperçois seulement aujourd'hui, après plusieurs jours.

J'ai donc décidé d'aborder le jeu sous un autre angle : difficulté à zéro, aucune tentative de construire quoi que ce soit. Je serai un "pur esprit" voyageant à la surface du monde.

M'approprier ce monde en refusant tout simplement l'existence du danger, de la peur et de la nécessité. Nier la nuit.

Je note également qu'à l'échelle collective, puisqu'il existe un mode multi-joueurs, la résistance s'organise – celle de l'esprit, de l'humain, de la civilisation. Je crois qu'au fond personne n'a envie de jouer à Minecraft tel qu'il se présente à son ouverture. Et je suis assez fasciné par ce phénomène : un jeu de survie, dans un espace vierge, impitoyable, muet, qui peu à peu devient un monde multi-joueurs où apparaissent une civilisation, des villes, une économie, une hiérarchie sociale (comme sur Minefield où l'on peut devenir le citoyen d'une authentique ville, se trouver du travail, mettre son argent à la banque...).

Quelque part entre Second Life et un RPG, Minecraft est en train de changer de nature, et c'est une excellente nouvelle. Godard a dit que les travellings sont une affaire de morale ; je crois que le gameplay en est une aussi. Les jeux vidéos nous confrontent à des univers métaphysiques et moraux et il importe de faire son choix, comme dans la "vraie vie", entre ce que l'on accepte et ce que l'on accepte pas.

vendredi 5 novembre 2010

Vice City

J'arrive toujours cent cinquante ans après tout le monde, et m'émerveille de choses devenues banales, mais donc, oui, GTA Vice City est un choc – en fait, j'ai découvert San Andreas avant, mais il me plaît beaucoup moins, malgré sa map beaucoup plus grande – encore que trompeuse, car il me semble que les scènes en intérieur y sont moins nombreuses, qu'il y a beaucoup d'espace gratuit et inexplorable en réalité, et que l'action est plus répétitive, le jeu moins fun, tout simplement...

Tout a déjà été dit sur le gameplay de GTA, je n'ajouterai donc rien, si ce n'est que je constate une fois encore à quel point les univers virtuels sont beaucoup plus réels qu'on ne le croit ; ce sont des univers immatériels, et c'est tout, au fond – parce qu'ils existent comme cadre spatio-temporel, esthétique, parce qu'on y agit et qu'on y est agi, ils laissent dans la mémoire des souvenirs au même titre qu'un événement du monde matériel, qu'un paysage, qu'une personne réelle.

D'une certaine manière il y a une partie de moi qui vit réellement à Vice City – comme dans le petit village où se déroule la Secte Noire, ou dans la ville arabe du jeu Omeyad – puisque j'y ai des souvenirs, que j'y pense souvent, et que j'y retourne, et que j'y ai même un avenir – évidemment, c'est une partie de ma vie qui est extrêmement limitée, limitée aux quelques possibilités que propose le jeu.

Mais à y réfléchir, en quoi est-ce plus limité que la partie de moi qui va faire ses courses au Simply Market après le travail ? Ces moments-là, utilitaire, limités, sont pourtant réputés réels.

L'ensemble des gestes que je peux accomplir dans Vice City est même certainement plus vaste et plus varié que celui auquel j'ai droit lorsque je fais mes courses – dans l'absolu, évidemment, je pourrais me mettre à chanter à tue-tête au rayon fromage, faire l'amour sur les étals de poisson ou provoquer une bagarre générale, ou organiser un festival de poésie entre les rangées de bouteilles de vin, mais je ne le fais pas, et personne ne le fait, pour éviter le bug de la Matrice qui consiste en un vigile vous mettant poliment et fermement à la porte.

La somme des moments de nos vie où nous ne faisons pas toutes ces choses, parce que ça ne fait pas partie du programme, est gigantesque.

Ça vaut bien quelques échappées schizophréniques en Floride.

Et naturellement, ceux qui ne comprennent pas l'émerveillement que l'on peut ressentir en découvrant une nouvelle rue dans Little Haïti, au bout de plusieurs semaines de jeu, pourtant, et qui ne comprennent pas que cet émerveillement-là est un entraînement à l'émerveillement devant le monde réel, n'ont pas d'âme.

Vice City (in English)

I always arrive a hundred and fifty years after everyone else, and marvel at things that have become commonplace, but so, yes, GTA Vice City is a shock – in fact, I discovered San Andreas before, but I like it a lot less, despite its much larger map – although misleading, since it seems to me that there are fewer indoor scenes, that there's a lot of free, unexplored space in reality, and that the action is more repetitive, the game less fun, quite simply...

Everything's already been said about GTA's gameplay, so I won't add anything, except to say that I once again find virtual universes to be much more real than we think; they're immaterial universes, and that's all there is to it – because they exist as a spatio-temporal, aesthetic framework, because we act in them and are acted upon, they leave memories in the same way as an event in the material world, a landscape, a real person.

In a way, there's a part of me that actually lives in Vice City – like in the little village where Black Sect takes place, or in the Arab town in the game Omeyad – since I have memories there, think about it often, go back to it, and even have a future there – obviously, it's a part of my life that's extremely limited, restricted to the few possibilities offered by the game.

But come to think of it, what's more limited than the part of me that goes shopping at Simply Market after work? These utilitarian, limited moments are, however, reputedly real.

The range of things I can do in Vice City is certainly even wider and more varied than what I can do when I'm shopping – in the absolute, of course, I could sing at the top of my lungs in the cheese department, make love on the fish stalls or provoke a general brawl, or organize a poetry festival between the rows of wine bottles, but I don't, and nobody else does, to avoid the Matrix bug of a security guard politely and firmly kicking you out.

The sum of the moments in our lives when we don't do all these things, because it's not part of the program, is gigantic.

It's worth a few schizophrenic escapes to Florida.

And of course, those who don't understand the wonder that can be felt when discovering a new street in Little Haiti, even after several weeks of playing, and who don't understand that this wonder is training for wonder in the real world, have no soul.

lundi 25 octobre 2010

Second Life vs Minecraft (in English)

In Second Life, sexe, fric et paradis perdu, published by Atlantico on April 1, 2011, Aurélien Fouillet explains the progressive and inexorable decline of the little world of Linden Lab by the unpleasantly intrusive, even "colonialist" way in which the residents would have experienced the arrival in the Metaverse of big companies, political parties, universities and other institutions of the real world; This arrival would have been considered as an attempt to "take power" over the peaceful anarchy reigning until then, and sanctioned, therefore, by a desertion for other universes with greener grass.

Let's say it clearly: the theory exposed by Aurélien Fouillet seems to us false.

Second Life is indeed deserted by Internet users, but for reasons completely other than this question of companies and institutions; "stupid" technical questions, that is to say, in reality, fundamental.

Indeed, SL is a virtual world, and in this domain, the technical choices, the choices concerning the possibilities and the limits of the game, the choices concerning the interface between the player and the world, are moral, political, existential choices. The interface with the world is the world itself, and it is the player's "body" in the world, which will determine the limits and nature of his action, of his mode of being.

How ridiculous, then, is this fixation, in Second Life, on the "avatar", this poor 3D model representing the player in space, when his real body is the software. And it is indeed because since the beginning, in its very conception, Second Life is a false promise, it is indeed because in its very technical conception, it is not a virtual world, it is not the place of a Second Life, that it is today a dead world.

Or has it always been so? I haven't checked the evolution of the number of residents over the years, nor their frequency of connection. But I'm not sure that it's actually gone down that much; because to tell you the truth, I'm not sure that it was ever that high, compared to Linden Lab's claims and media exposure.

I'm convinced that normal people were never interested in Second Life anyway, so they couldn't run away from it; that the possible drop in attendance is only explained by the fact that the curious, the first timers and those who went for the "fashion" are less and less numerous, Second Life is getting older, and hopelessly not getting better.

Who is the only real audience in this world? On the one hand the perverts and absolute no-lifers, on the other hand the merchants – creators of clothes, accessories, skins, various services for no-lifers. Also, at the margin, by contemporary artists trying to stand out, generally of very low level, with falsely deep "virtual" issues and dubious aesthetics; the real artists of our time being, of course, already employed in the video game industry.

The real people of Metavers, the no-lifers, the perverts, don't give a damn about the presence of the Collège de France, the National Front or the Library of Congress, and continue to do in SL what they've always sought. The creation of the "adult" zones officially confirms this use of SL, and these zones are places of total freedom where it is hard to imagine respectable companies or universities setting up shop. In reality, there is no one to disturb the sweet anarchy and the pixel frolics.

The general public, the real general public, goes to chat on Habbo Hotel or Dofus, while teenage gamers kill boars in Warcraft and prepare the attack of their high school in Counter Strike.

Under these conditions, why would universities, companies, political parties pay to maintain their "embassies" in the Metaverse? When there are clearly not enough visitors to justify their existence? And that there never were any?

As a personal testimony: I was able to talk with the resident in charge of creating and developing the virtual double of the German State of Saarland, which reproduced, with great aesthetic concern, by the way, a part of the cities of Saarbrücken and Saarlouis, as well as the Saarbrücken zoo, and some other places. I have forgotten the exact figure, but according to him, all this cost between 2000 and 3000 euros per month to the organization that wanted to promote its Land through this means. Between 2000 and 3000 euros per month, for an almost null attendance – I have been to their sim enough to know that. Who would pay for that? And who will believe that the Collège de France, or some American library, or the region of Cantal, have more frequented sims?

The fact is that Second Life residents have never cared about politics, books, 3D tourism or U2 concerts broadcast by Linden Lab. And the people who care about all that, don't go to Second Life.

Residents want a series of extremely simple things: to dance, to exchange "LOL", to buy clothes and to have sexual relations, deviant ones if possible – in which the article of Aurélien Fouillet reflects reality.

There is nothing else left on Second Life. In fact, there has never been anything else. This may seem poor. It is.

And if we have come to this point, if Second Life has irreversibly demonstrated its inability to attract a large audience, if its commercial failure as well as its "philosophical" failure (as an experiment on virtual reality and the place to give it in life) are so blatant, it is, let's say it again, well and truly because of its fundamental technical choices.

To begin with, connecting to it in good conditions requires a PC with a graphics card that most Internet users do not have. The lag is almost permanent. As for the graphics, they are worthy of an old GTA. This is a lot for an experience that is supposed to be so futuristic, and that is presented everywhere as a quasi "Matrix".

But, more serious, and this is born from the technical limitations of the "game": there is nothing to do in Second Life. Here it is, the first pitfall. I will be told that no, on the contrary, you can do everything – and indeed, you can fly in the air. You can build objects, creatures, clothes, houses, in a few clicks. We can dance. We can chat.

And after that? Afterwards, nothing.

The acts have no weight. They do not correspond to any necessity, and therefore, to any real motivation. They have, moreover, no consequences. And they are very limited in spite of everything. We evolve, in short, in an almost complete vacuum of interactions with the world.

You can fall from 500 meters, and simply get up again. You can walk underwater for hours. You can fly. Of course, there is a point to all of this, and it is entirely possible to use Second Life as a kind of daydreaming medium, as a surreal online experience, as a 3D assistant for psychogeographic walks – but then what? Most people won't be interested in it, and the "soft" and passive aspect of Linden Lab's world will even put them off – they proved it by deserting it. It is the lack of possible interactions with the environment, the lack of constraints and stakes, the lack of world, in short, that made people run away, or rather dissuaded them from staying in the Metaverse after the first experiences "to see".

No doubt, if this experiment failed, others will succeed.

Minecraft is one of those "experiments", and is giving a lesson on what a virtual world should be, and incidentally what a game should be. In all points, where Second Life failed, where Second Life betrayed what it pretended to be, Minecraft, even though this was not foreseen by its designer, but because its technical choices let the playful and existential uses of it by its players develop by themselves, in all this, Minecraft is imposing itself.

Where Second Life is ultimately just a kind of web with a graphical interface (you can watch a movie in Second Life, you can listen to music, you can open web pages – but what's the point?), Minecraft is establishing itself as a real world.

Minecraft is beautiful. Primitive but beautiful, coherent, and with a strong identity, where Second Life looks like a game from 1999, and an uneven aesthetic poverty depending on the area, but often blatant.

In Minecraft, as in Second Life, there is nothing to gain. If it is not to continue to live. Which is not nothing. A fall can be fatal, a stay under water too. During the night, monsters prowl. And if you want to build a house and decorate it, you have to dig in the rock, cut wood, shear sheep, pick flowers.

The world resists and you have to work to get something. But where in Second Life, work is almost always akin to prostitution (jobs as "escorts", models, dancers in clubs, flappers, various links of online commerce), Minecraft allows the player thrown into a hostile world, humiliating by its size, and where death is everywhere, to create, through work and the slow construction of his own life, access to dignity. Those who have already spent several hours at repetitive tasks such as digging, cutting wood, planting wheat, letting themselves be invaded by the deep peace of labor, will understand.

Where Second Life requires the investment of (real) money to afford a space to build your house, and the 3D skills that go with it, Minecraft requires only clicks and a little bit of imagination from the player – and while SL maintains and thereby entrenches a financial and technical divide, Minecraft creates equality, in the sense that everyone has the same chances as everyone else, at the beginning of the game, to succeed in life.

I say "world" and Minecraft is the only one that deserves this term. Unlike the simple scenery of Second Life, which is only the web with a graphical interface, the world of Minecraft has its physical laws, its limits, its constraints, which we undergo, and with which we can also play, and in which we can find joy.

Who hasn't seen on YouTube those videos of players filming their "fun" sessions at the TNT, or crazy experiments on waterways, who hasn't been amazed by the megalomaniacal constructions of the most gifted players, by the extent of the cities that are born little by little on the multiplayer servers? Who would deny that human genius – dare we use big words – is expressed there?

And who would feel a tenth of that wonder, seeing the same thing in Second Life, where building the same thing would take three clicks? And it would be a mere scenery, and a dead one?

And what's more, a very quickly limited setting – Second Life being divided into regions and islands, sometimes tiny, of which you quickly reach the border, while Minecraft is simply infinite and continuous, the world being generated as you go along, without limit. Who could, until two years ago, dream of going forty-eight hours in a row, if the urge took him, in a video game, without encountering a border, and knowing that there is none? This simple fact, this simple novelty makes all the old conceptions obsolete. The freedom gained with Minecraft is a new benchmark by which all future production will be judged.

Video games – and the failure of Second Life shows one thing: you can't get out of the video game, that is to say the notion of narrative, of goal, of success and failure – offer to the players coherent, consistent worlds, as well as a discourse, even if it's implicit, on the world, and on the place we can find in it. Whether in Minecraft, in GTA, in the Sims, playing consists in confronting a world endowed with a certain level of consistency and interactivity – of reality, in short – and in living various experiences, the interest being naturally that they are of those that one can hardly live in real life – whether it is a question of domesticating a virgin land or of taking control of organized crime.

The question of Evil, that is to say also of freedom, is central in all this. It arises, or rather, does not arise, in Second Life, where – unless you are a real hacker – it is impossible to destroy the scenery, the objects, to kill the other participants – even though the history of online video games, for a long time, is marked by the malice or cheating of some, and that, it is so obvious that I am a little ashamed to write it, there is no good, individual or collective, no good that has value and weight, without the possibility of evil – the one we do as well as the one we can suffer.

If one wanted to risk a Christian reading, one could say that Second Life, where one risks nothing, and where Evil is impossible, is a satanic parody of Eden, an imprisonment of Man in narrow limits, without Grace, without God – while Minecraft assumes the human exile in matter, in a hostile or at best indifferent world, but domestic, perfectible, of which Man becomes little by little the master and the co-creator While waiting for a possible savior...

Second Life has nothing of a game nor any of the characteristics that make the game something fundamental. There is nothing particular happening and we are "free"; except that we are free only to do nothing fundamental. And that nothing happens is the worst option imaginable: in real life, there are trials to go through, which fall from the sky; things happen that you can't do anything about. The choices are limited. And the games, which reflect these trials to be passed, allow to prepare for them, or to sublimate, or to free oneself. Second Life is not a game, it is even the anti-game par excellence; and it is not life, even second, or even virtual; it is not life, it is its opposite.

And where Second Life only allows, at best, a poetic wandering, at worst, a life of a consumerist pig, Minecraft allows something very simple and yet fundamental, probably so fundamental and so absent from the life of many of us that it's enough to explain the success of the game: the realization of oneself, the possibility to create and to give one's best.

Second Life vs Minecraft

Dans Second Life, sexe, fric et paradis perdu, publié par Atlantico le 1er avril 2011, Aurélien Fouillet explique le déclin progressif et inexorable du petit monde de Linden Lab par la manière désagréablement intrusive, voire "colonisatrice" dont les résidents auraient vécu l’arrivée dans le Metavers des grandes entreprises, partis politiques, universités et autres institutions du monde réel ; arrivée qui aurait été considérée comme une tentative de "prise du pouvoir" sur l’anarchie paisible régnant jusque là, et sanctionnée, donc, par une désertion pour d’autres univers à l’herbe plus verte.

Disons-le tout net : la théorie exposée par Aurélien Fouillet nous paraît fausse.

Second Life est effectivement déserté par les internautes, mais pour des raisons tout à fait autres que cette question des entreprises et des institutions ; des questions "bêtement" techniques, c’est-à-dire, en réalité, fondamentales.

En effet, SL se veut un monde virtuel, et dans ce domaine, les choix techniques, les choix concernant les possibilités et les limites du jeu, les choix concernant l’interface entre le joueur et le monde, sont des choix moraux, politiques, existentiels. L’interface avec le monde est le monde lui-même, et elle est le "corps" du joueur dans le monde, qui va déterminer les limites et la nature de son action, de son mode d’être.

Combien ridicule, alors, est cette fixation, dans Second Life, sur "l’avatar", pauvre image 3D représentant le joueur dans l’espace, quand son vrai corps, c’est le logiciel. Et c’est bel et bien parce que depuis le début, dans sa conception même, Second Life est une fausse promesse, c’est bien parce que dans sa conception technique même, il n’est pas un monde virtuel, il n’est pas le lieu d’une deuxième vie, qu’il est aujourd’hui un monde mort.

À moins qu’il ne l’ait toujours été ? Je n’ai pas vérifié l’évolution du nombre de résidents au fil des ans, ni leur fréquence de connexion. Mais je ne suis pas certain au fond qu’il ait tant baissé ; car à vrai dire je ne suis pas certain non plus qu’il ait jamais été si élevé que ça, comparé aux prétentions de Linden Lab et à son exposition médiatique.

J’ai la conviction que de toutes façons les gens normaux ne se sont jamais intéressés à Second Life et qu’ils n’ont donc pas pu en fuir ; que la baisse éventuelle de fréquentation, s’explique seulement par le fait que les curieux, les "first timers" et ceux qui y allaient pour la "mode" sont de moins en moins nombreux, Second Life prenant de l’âge, et ne s’améliorant désespérément pas.

Qui est le seul vrai public de ce monde ? D’une part les pervers et les no-life absolus, d’autre part les commerçants – créateurs de vêtements, d’accessoires, de skins, de services divers pour les no-life. Également, à la marge, par des artistes contemporains essayant de se démarquer, généralement de très bas niveau, aux problématiques "virtuelles" faussement profondes et à l’esthétique douteuse ; les vrais artistes de notre époque étant, bien entendus, déjà employés dans l’industrie du jeu vidéo.

Le vrai peuple du Metavers, les no-life, les pervers, se moquent éperdument de la présence du Collège de France, du Front National ou la Bibliothèque du Congrès, et continuent à faire dans SL ce qu’ils y ont toujours cherché. La création des zones "adult" entérine d’ailleurs officiellement cet usage-là de SL, et ces zones sont des lieux de liberté totale où l’on imagine mal des entreprises respectables ou des universités s’implanter. En réalité il n’y a personne pour troubler la douce anarchie et les ébats de pixels.

Le grand public, le vrai grand public, lui, va tchatter sur Habbo Hotel ou dans Dofus, pendant que les ados gamers tuent des sangliers dans Warcraft et préparent l’attaque de leur lycée dans Counter Strike.

Dans ces conditions, pourquoi des universités, des entreprises, des partis politiques paieraient pour maintenir leurs "ambassades" dans le Metavers ? Alors qu’il n’y a clairement pas assez de visiteurs pour justifier leur existence ? Et qu’il n’y en a jamais eu ?

A titre de témoignage personnel : j’ai pu m’entretenir avec le résident chargé de créer et développer le double virtuel de l’État allemand de la Sarre, qui reproduisait, avec un grand soucis esthétique, d’ailleurs, une partie des villes de Saarbrücken et de Saarlouis, ainsi que le zoo de Saarbrücken, et quelques autres lieux. J’ai oublié le chiffre exact mais tout cela coûtait selon lui entre 2000 et 3000 euros par mois à l’organisme qui voulait, par ce biais, promouvoir son Land. Entre 2000 et 3000 euros mensuels, pour une fréquentation à peu près nulle – j’ai suffisamment fréquenté leur sim pour le savoir. Qui paierait pour ça ? Et qui croira que le Collège de France, ou je ne sais quelle bibliothèque américaine, ou le Cantal, ont des sims plus fréquentées ?

Le fait est que les résidents de Second Life se sont toujours moqués éperdument de la politique, des livres, du tourisme en 3D ou des concerts de U2 retransmis par Linden Lab. Et les gens qui s’intéressent à tout cela, eux, ne vont pas sur Second Life.

Les résidents veulent une série de choses extrêmement simples : danser, échanger des "LOL", acheter des vêtements et avoir des relations sexuelles, déviantes si possible – ce en quoi l’article d’Aurélien Fouillet reflète, pour le coup, la réalité.

Il ne reste rien d’autre sur Second Life. Il n’y a en fait jamais eu rien d’autre. Cela peut paraître pauvre. Ça l’est.

Et si nous en sommes arrivés là, si Second Life a manifesté de manière irréversible son incapacité à attirer un public large, si son échec commercial comme son échec "philosophique" (comme expérience sur la réalité virtuelle et la place à lui accorder dans la vie) sont aussi criants, c’est, redisons-le, bel et bien à cause de ses choix techniques fondamentaux.

Pour commencer, s’y connecter dans de bonnes conditions demande un PC doté d’une carte graphique que la plupart des internautes n’ont pas. Le lag est quasi permanent. Quant aux graphismes, ils sont dignes d’un vieux GTA. Cela fait beaucoup pour une expérience sensée être si futuriste, et que l’on présente partout comme une quasi "Matrice".

Mais, plus grave, et cela naît bien des limitations techniques du "jeu" : il n’y a rien à faire dans Second Life. Le voilà, l’écueil premier. On me répondra que non, qu’au contraire on peut tout faire – et effectivement, on peut voler dans les airs. On peut builder des objets, des créatures, des fringues, des maisons, en quelques clics. On peut danser. On peut tchatter.

Et après ? Après, rien.

Les actes n’ont pas de poids. Ils ne correspondent à aucune nécessité, et partant, à aucune motivation réelle. Ils n’ont, de plus, aucune conséquence. Et sont très limités malgré tout. On évolue, en somme, dans un vide d’interactions avec le monde à peu près complet.

Vous pouvez tomber de 500 mètres, et simplement vous relever. Vous pouvez marcher sous l’eau pendant des heures. Vous pouvez voler. Naturellement, tout cela a un intérêt, et il est tout à fait possible d’utiliser Second Life comme une sorte de support pour rêves éveillés, comme une expérience surréaliste en ligne, comme un assistant 3D pour balades psychogéographiques – mais après ? La majeure partie des gens n’y verra aucun intérêt, et cet aspect "mou" et passif du monde de Linden Lab la rebutera même – elle l’a prouvé en le désertant. C’est le manque d’interactions possibles avec l’environnement, le manque de contraintes et d’enjeux, le manque de monde, en somme, qui a fait fuir les gens, ou plutôt les a dissuadé de rester dans le Metavers passé les premières expériences "pour voir".

N’en doutons pas, si cette expérience a raté, d’autres réussiront.

Minecraft est l’une de ces "expériences", et qui est en train de donner une leçon sur ce que doit être un monde virtuel, et accessoirement ce que devrait être un jeu. En tous points, là où Second Life a échoué, là où Second Life a trahi ce qu’il prétendait être, Minecraft, alors même que cela n’était pas prévu par son concepteur, mais parce que ses choix techniques ont laissé se développer tous seuls les usages ludiques et existentiels qu’en font ses joueurs, en tout cela, Minecraft est en train de s’imposer.

Là où Second Life n’est en définitive qu’une sorte de web à interface graphique (on peut voir un film dans Second Life, on peut y écouter de la musique, on peut ouvrir des pages web – mais quel intérêt ?), Minecraft s’impose comme un véritable monde.

Minecraft est beau. Primitif mais beau, cohérent, et doté d’une forte identité, là où Second Life ressemble à un jeu de 1999, et une pauvreté esthétique inégale selon les zones, mais souvent criante.

Dans Minecraft, comme dans Second Life, il n’y a rien à gagner. Si ce n’est continuer à vivre. Ce qui n’est pas rien. Une chute peut être mortelle, un séjour sous l’eau aussi. Durant la nuit rôdent des monstres. Et si l’on veut se construire une maison, et la décorer, il faut creuser dans la roche, couper du bois, tondre des moutons, cueillir des fleurs.

Le monde résiste et il faut travailler pour obtenir quelque chose. Mais là où dans Second Life, le travail s’apparente quasiment toujours à de la prostitution (jobs "d’escort", de mannequin, de danseurs/danseuses dans les clubs, rabatteurs, chaînons divers du commerce en ligne), Minecraft permet au joueur jeté dans un monde hostile, humiliant par sa taille, et où la mort est partout, de se créer, par le travail et par la lente construction de sa propre vie, d’accéder à la dignité. Ceux qui ont déjà passé plusieurs heures à des tâches répétitives comme creuser, couper du bois, planter du blé, en se laissant envahir par la profonde paix du labeur, comprendront.

Là où Second Life demande d’investir de l’argent (réel) pour se payer un espace où construire sa maison, et les compétences en 3D qui vont avec, Minecraft ne demande au joueur que des clics et un peu d’imagination – et tandis que SL entretient et entérine par là une fracture financière et technique, Minecraft crée une égalité, au sens où chacun a les mêmes chances que les autres, au début du jeu, pour réussir dans la vie.

Je dis "monde" et Minecraft est le seul qui mérite ce terme. A l’inverse des simples décors de Second Life, qui n’est que le web avec une interface graphique, le monde de Minecraft a ses lois physiques, ses limites, ses contraintes, que l’on subit, et avec lesquelles on peut aussi jouer, et dans lesquelles on peut trouver de la joie.

Qui n’a pas vu sur YouTube ces vidéos de joueurs, filmant leurs séances "d’éclate" au TNT, ou d’expérimentations démentes sur les cours d’eau, qui n’a pas été émerveillé par les constructions mégalomaniaques des joueurs les plus doués, par l’étendue des villes qui naissent peu à peu sur les serveurs multijoueurs ? Qui nierait que le génie humain – osons les grands mots – s’exprime là ?

Et qui éprouverait le dixième de cet émerveillement, à voir la même chose dans Second Life, où construire la même chose prendrait trois clics ? Et ne serait qu’un simple décor, et un décor mort ?

Et qui plus est, un décor étroit, très vite limité – Second Life étant divisé en régions et en îles, parfois minuscules, dont on atteint vite la frontière, quand Minecraft est tout simplement infini et continu, le monde étant généré au fur et à mesure que l’on avance, sans limite. Qui pouvait, il y a encore deux ans, rêver avancer quarante-huit d’heure d’affilée, si l’envie l’en prenait, dans un jeu vidéo, sans rencontrer de frontière, et en sachant qu’il n’y en a d’ailleurs pas ? Ce simple et unique fait, cette simple nouveauté rend caduque toutes les anciennes conceptions. La liberté conquise avec Minecraft est un nouveau mètre-étalon à l’aune duquel sera jugé toute la production à venir.

Les jeux vidéos – et l’échec de Second Life montre une chose : on ne sort pas du jeu vidéo, c’est à dire de la notion de narration, de but, de réussite et d’échec – proposent aux joueurs des mondes cohérents, consistants, ainsi qu’un discours, fut-il implicite, sur le monde, et sur la place qu’on peut y trouver. Que cela soit dans Minecraft, dans GTA, dans les Sims, jouer consiste à se confronter à un monde doté d’un certain niveau de consistance et d’interactivité – de réalité, en somme – et à y vivre des expériences variées, l’intérêt étant naturellement qu’elles soient de celles que l’on peut difficilement vivre dans la vraie vie – qu’il s’agisse de domestiquer une terre vierge ou de prendre le contrôle du crime organisé.

La question du Mal, c’est-à-dire aussi de la liberté, est centrale dans tout cela. Elle se pose ou plutôt, ne se pose pas, dans Second Life, où – à moins d’être un réel hacker – il est impossible de détruire les décors, les objets, de tuer les autres participants – alors même que l’histoire du jeu vidéo online, depuis longtemps, est marquée par la malveillance ou la tricherie de certains, et que, c’est une telle évidence que j’ai un peu honte de l’écrire, il n’existe aucun bien, individuel ou collectif, aucun bien qui ait une valeur et du poids, sans possibilité du mal – celui qu’on fait comme celui qu’on peut subir.

Si l’on voulait se risquer à une lecture chrétienne, on pourrait dire que Second Life, où l’on ne risque rien, et où le Mal est impossible, est une parodie satanique de l’Eden, un emprisonnement de l’Homme dans des limites étroites, sans Grâce, sans Dieu, en bref un enfer – tandis que Minecraft assume l’exil humain dans la matière, dans un monde hostile ou au mieux indifférent, mais domestique, perfectible, dont l’homme devient peu à peu le maître et le co-créateur. En attendant un sauveur éventuel…

Second Life n’a rien d’un jeu ni aucune des caractéristiques qui font du jeu quelque chose de fondamental. Il ne s’y passe rien de particulier et on y est "libre" ; sauf qu’on est libre uniquement de ne rien faire de fondamental. Et qu’il ne s’y passe rien est la pire option imaginable : dans la vraie vie, il y a des épreuves à traverser, qui tombent du ciel ; il se passe des choses auxquelles on ne peut rien. Les choix sont limités. Et les jeux, qui reflètent ces épreuves à passer, permettent de s’y préparer, ou de sublimer, ou de se libérer. Second Life n’est pas un jeu, c’est même l’anti-jeu par excellence ; et ça n’est pas la vie, même seconde, ou même virtuelle ; ça n’est pas la vie, c’est son contraire.

Et là où Second Life ne permet, au mieux, qu’une errance poétique, au pire, une vie de porc kikoololeur et consumériste, Minecraft permet une chose très simple et pourtant fondamentale, sans doute tellement fondamentale et tellement absente de la vie de beaucoup d’entre nous qu’elle suffit à expliquer le succès du jeu : la réalisation de soi, la possibilité de créer et de donner son meilleur.

mercredi 25 août 2010

Dreams of intrusion (Second Life)

Second Life.

I remember walking alone at night, in the Freundschaft Resorts.

Clean, green, safe streets that adjoined the Saarbrücken Zoo. Or at least its digital version.

I set the environment parameters to "Midnight" – bluish tones, cold, dim moonlight. Any other player present at the same time, next to me, would have been able to see the world in the low light of dusk, or in the full map of the afternoon; I needed the darkness, the secrecy and protection of darkness.

I entered houses.

It was rare for me to run into someone and get kicked out. Even rarer that a parcel would automatically eject me after a warning message and ten seconds to leave the premises (a small window opens at the bottom right of the screen, informing you that you have no access to these premises, and it's as if the whole universe suddenly revealed a forgotten paranoid nature).

I would fly over empty houses at night, as if in a dream. I'd take photos of bedrooms, living rooms, offices. The houses were all wood and glass, geometric, open – contemporary. Somewhere, real human beings owned these virtual houses, paying to live part of their lives in them; they decorated them and connected to them in their spare time, to experience things that escaped me. None of this was a game. Neither for them nor for me. Second Life allowed me to realize my lifelong fantasies of intrusion and voyeurism. I stood still for long periods in empty houses. I savored my transgression. A strange peace was rising.

My memories in Second Life – this one and others – are real memories. By this I mean that I often recall images, sensations and emotions perceived and felt entirely in Second Life. I'm probably not always aware of where they come from, just as some old dreams can be mistaken for real. These memories are real, and nostalgia is attached to them. They, too, are my story.

And the places I've seen come back to me in my dreams. They mix with other places, real or entirely fictitious, which together make up my inner space, the place where my imagination takes place – recomposed memories, reveries of other lives, fantasies of all kinds, stories to be written. These places existed within me before I discovered Second Life. They existed in the real world, for a start; and more or less consciously in my mind; independently, as distinct places and entities, or as mere potentialities. Second Life actualized these potentialities and gave them an autonomous existence of their own.

There's a dream I had one night – I'm in an open space, and my field of vision, panoramic. The setting is a country lane, fields, a pile of dead trees and branches. I'm with my girlfriend and we're walking. In the middle of nowhere, to our right, the abandoned, eerie red-brick house I sometimes entered as a teenager. In many other dreams, in a frightening number of other dreams, in fact, I'd enter it again, and the house, alive, conscious and ill-intentioned, would "digest" me within it, the space distorting and contracting, as if to, yes, digest me. In this dream, as in the others, I'm aware of the evil emanating from this house. It's never appeared to me in a dream in any other way. We branch off towards it, keeping a certain distance so as not to enter its zone of influence. Leaving the path, we end up climbing a steep slope, with green, mossy ground, to emerge into a landscape of glass and metal structures, similar to the Freundschaft Resorts. I say to myself, "so this is what it looks like in real life".

Empty houses, virtual, immaterial, where I live out my fantasies. A real house, which comes back to terrify me in my dreams. The two mix in new dreams. And they become the setting for the story I'm writing. And other stories that mature within me – memoirs, fictions, game scenarios, photo series to be realized.

There's a mystery to space – which we inhabit and which inhabits us. And a mystery of haunting; for who is haunted? The house, or the person the house haunts in return?

(originally published on Schizodoxe webzine)

Rêves d'intrusion (Second Life)

Second Life.



Je me revois marcher seul – ou plus exactement : seule – la nuit, dans les Freundschaft Resorts.

Des rues proprettes, vertes et sécurisées, qui jouxtaient le zoo de Sarrebrück. Ou du moins sa version numérique.

Je réglais les paramètres d’environnement sur "Minuit" – tons bleutés, froids, faible lumière de la lune. N’importe quel autre joueur présent aurait, au même moment, à côté de moi, pu voir le monde sous la lumière rasante du crépuscule, ou dans la pleine carte de l’après-midi ; moi j’avais besoin de l’obscurité, du secret et de la protection de l’obscurité.

J’entrais dans les maisons.

Il était rare que je croise quelqu’un et me fasse mettre dehors. Encore plus rare qu’une parcelle m’éjecte automatiquement après un message d’alerte et dix secondes pour quitter les lieux (une petite fenêtre s’ouvre en bas de l’écran, à droite, vous informe que vous n’avez pas accès à ces lieux, et c’est comme si l’univers entier soudain révélait une nature paranoïaque oubliée).

Je volais au-dessus des maisons vides, la nuit, comme dans un rêve. Je prenais des photos des chambres à coucher, des salons, des bureaux. C’étaient des maisons toutes en bois et en verre, géométriques, ouvertes – contemporaines. Des gens, quelque part, des êtres humains réels possédaient ces maisons virtuelles, ils payaient pour pouvoir y mener une partie de leur vie ; ils les décoraient et s’y connectaient lors de leur temps libre, pour y vivre des choses qui m’échappaient. Tout cela n’avait rien d’un jeu. Ni pour eux ni pour moi. Second Life me permettait de réaliser les fantasmes d’intrusion et de voyeurisme qui me travaillaient depuis toujours. Je restais sans bouger, longtemps, dans les maisons vides. Je savourais ma transgression. Une paix étrange montait.

Mes souvenirs dans Second Life – celui-là ou d’autres – sont des souvenirs réels. J’entends par là qu’il me revient souvent des images, des sensations, des émotions, perçues et ressenties entièrement dans Second Life. Sans que j’aie toujours conscience, probablement, de leur provenance, comme il arrive qu’on prenne pour réels certains vieux rêves. Ces souvenirs sont réels, et une nostalgie s’y rattache. Ils sont, eux aussi, mon histoire.

Et ces endroits que j’ai vus me reviennent à leur tour en rêve. Ils se mélangent à d’autres lieux, réels, ou entièrement fictifs, qui tous ensemble constituent mon espace intérieur, l’espace où prend place mon imaginaire – souvenirs recomposés, rêveries d’autres vies, fantasmes en tous genres, histoires à écrire. Ces lieux existaient en moi avant que je ne découvre Second Life. Ils existaient dans le monde réel, pour commencer ; et plus ou moins consciemment dans mon esprit ; indépendamment, comme lieux et comme entités distinctes, ou encore comme simples potentialités. Second Life a actualisé ces potentialités et leur a donné une existence propre, et autonome.

Il y a un rêve que j’ai fait une nuit – je suis dans un espace dégagé, et mon champ de vision, panoramique. Éléments de décor : un chemin de campagne, des champs, un tas d’arbres morts et de branchages. Je suis avec ma compagne et nous marchons. Au milieu de rien, à notre droite, la maison abandonnée, en briques rouges, sinistre, où j’entrais parfois, dans mon adolescence. Dans nombre d’autres rêves, dans un nombre effrayant d’autres rêves, en fait, j’y entrais à nouveau, et la maison, vivante, consciente et mal intentionnée, me "digérait" en elle, l’espace se déformant et se contractant, comme pour, oui, me digérer. Dans ce rêve-ci, comme dans les autres, j’ai conscience du mal dégagé par cette maison. Elle ne m’est jamais apparue en rêve autrement que comme cela. Nous bifurquons vers elle, en gardant une certaine distance, pour ne pas entrer dans sa zone d’influence. Quittant le chemin, nous finissons par escalader une pente abrupte, au sol vert et moussu, pour déboucher dans un paysage de structures de verre et de métal, semblables aux Freundschaft Resorts. Je me dis "c’est donc à ça que ça ressemble en vrai".

Des maisons vides, virtuelles, immatérielles, où je réalise mes fantasmes. Une maison réelle, qui revient me terrifier en rêve. Les deux qui se mélangent dans de nouveaux rêves. Et qui deviennent les lieux de ce récit que j’écris. Et d’autres récits qui mûrissent en moi – mémoires, fictions, scénarios de jeu, séries de photos à réaliser.

Il y a un mystère de l’espace – que l’on habite et qui nous habite. Et un mystère de la hantise ; car qui est hanté ? La maison, ou celui que la maison hante en retour ?

(publié initialement sur le webzine Schizodoxe)

mercredi 21 juillet 2010

Visions banales

Plus jeune, vers dix-sept, dix-huit ans, j'étais hanté par des visions tellement banales et peu parlantes, que le verbe hanter paraîtrait un peu exagéré à un tiers. C'était comme certains rêves que je faisais presque toutes les nuits, des années après, à en devenir marteau : des rêves où j'étais seul chez moi, où au supermarché à faire des courses, et où le temps ne passait pas, où les gestes étaient mécaniques et banals, où il n'y avait personne à voir et rien à faire, où ça n'était ni le jour ni la nuit, des rêves d'ennui plus étouffants que le pire des cauchemars.

Couché sur mon lit, des après-midi entières, en écoutant Mike Oldfield, je déprimais gentiment, poliment, sans savoir vraiment pourquoi, sans même me dire "je déprime" ; c'était aussi dénué de mots et viscéral que la faim ou le sommeil, et j'étais traversé par des images. Je fermais les yeux et je voyais les rues des quartiers pavillonnaires à Hanweiler, baignées par le soleil, où j'avais erré tant de fois alors que je n'y connaissais personne. Je m'y voyais seul, naturellement, étranger au milieu de la normalité, de la vie dans ce qu'elle a de plus naturel et quotidien

Ommadawn me faisait penser à la forêt, en Allemagne, derrière la piscine municipale. J'y ai passé, seul, une bonne partie de mon adolescence, dans cette forêt. Il fallait traverser le pont en metal. J'y allais les dimanche matin, les après-midi libres, le soir, aussi, parfois. Quand on passe des centaines d'heures seul à marcher et à gamberger, c'est rarement un chemin vers les autres, et vers la normalité. Mais qu'aurais-je dû faire, m'acheter un scooter, me couper les cheveux, me mettre au basket-ball ?

J'avais développé ce rituel d'aller, le soir, marcher en Allemagne, à Hanweiler ; j'aimais les lumières des maisons, les enseignes des quelques commerces, le panneau qui indiquait le bordel et les bureaux de tabac. Je montais jusqu'à la station service, m'acheter des cigarettes, de la bière, une petite fiole d'alcool fort, et du chocolat. Souvent aussi, une saucisse au stand d'à côté. Je me promenais le long de la route, qui sortait peu à peu du village proprement dit, pour n'être plus qu'une succession de grillages, d'entrepôts, d'arbres et de champs, et je me faisais mon petit gueuleton. Celui qui ne connait pas le plaisir d'une bière glacée en hiver et à la nuit tombante ne connaît rien. C'était un plaisir de vagabond ou de clandestin, avec ma bouffe et ma cannette, planqué dans l'obscurité, et je me sentais très loin de chez moi.

J'associe ces lieux, la piscine, la forêt et ses chemins, Hanweiler, ses lumières et sa station-service, à la période de Noël. L'été n'avait aucune place dans mon imaginaire à l'époque – ou disons : plus aucune place, disons que j'étais dans une sorte d'hiver existentiel – et je me souviens de cet autre rituel du goûter à base de cœurs en pain d'épice, nappés de chocolat, de Ricoré et de Weihnachtstolle, une fois rentré d'Allemagne. C'était très enfantin finalement, ou disons un croisement entre l'enfance et certains jeux plus dangereux que les grands ne soupçonnent pas, comme dans les romans de Stephen King à base de clowns et de club des Ratés : j'allais taguer des croix gammées, ou des croix inversées, saccager des statues de la vierge, j'allais traîner dans la forêt avec mon couteau à dents sciées, errer seul dans les rues de Hanweiler, puis je rentrais chez maman, dans la chaleur du foyer, et quand la télé montrait des profanations de tombes, on me regardait en riant, bon enfant, Stéphane le gentil métalleux de la famille, tellement pittoresque.

Je scrutais souvent, je scrutais sans arrêt les fenêtres illuminées des maisons, en Allemagne comme ailleurs. Je voulais voir comment c'était, chez les gens, est-ce que c'était boisé, est-ce qu'il y avait des livres, des tableaux, étaient-ils assis devant la télé, ou debout dans la cuisine à parler, prenaient-il un bain, bricolaient-ils à la cave ? J'avais une famille et une maison comme tout un chacun, mais je passais ma vie seul dans les rues après les cours, prenant plaisir au froid, et je regardais par les fenêtres, essayant d'imaginer la vie des habitants.

Ça me fait penser à cette nouvelle de Stephen King, Tout ce que vous aimez sera emporté. L'histoire d'un VRP qui passe sa vie sur la route et dans des chambres de motels, et donc le passe-temps est de noter dans un carnet les phrases farfelues, comiques et tragiques, qu'il trouve dans les toilettes des arrêts d'autoroute. Et qui finit par se poster devant le champ d'un fermier, un soir d'hiver, où sa vie lui est définitivement insupportable, avec un flingue. Il regarde la maison, essayant d'imaginer ce que font les membres de la famille, et se donne une minute pour se suicider, ou pas.

Banal visions

When I was younger, around seventeen or eighteen, I was haunted by visions so banal and unspoken that the word haunting would seem a bit of an exaggeration to a third party. It was like certain dreams I'd have almost every night, years later, to the point of becoming hammered: dreams where I was alone at home, or at the supermarket shopping, and where time didn't pass, where gestures were mechanical and banal, where there was no one to see and nothing to do, where it was neither day nor night, dreams of boredom more suffocating than the worst nightmare.

Lying on my bed for whole afternoons, listening to Mike Oldfield, I'd get gently, politely depressed, without really knowing why, without even saying "I'm depressed" to myself; it was as wordless and visceral as hunger or sleep, and I'd have images running through me. I closed my eyes and saw the sun-drenched streets of Hanweiler's suburban neighborhoods, where I'd wandered so many times even though I knew no one there. I saw myself alone, naturally, a stranger in the midst of normality, of life at its most natural and everyday.

Ommadawn reminded me of the forest behind the municipal swimming pool in Germany. I spent a good part of my adolescence there, alone, in that forest. You had to cross the metal bridge. I went there on Sunday mornings, free afternoons and evenings too, sometimes. When you spend hundreds of hours alone, walking and brooding, it's rarely a path to others, and to normality. But what should I have done, bought a scooter, cut my hair, taken up basketball?

I'd developed this ritual of going for an evening walk in Germany, in Hanweiler; I liked the lights on the houses, the signs of the few shops, the sign indicating the brothel and the tobacconists. I'd go up to the gas station and buy cigarettes, beer, a small flask of hard liquor, and chocolate. Often a sausage from the stand next door. I'd stroll along the road, which was gradually leaving the village proper and becoming a succession of fences, warehouses, trees and fields, and I'd have my little feast. Anyone who hasn't experienced the pleasure of an ice-cold beer in winter at dusk knows nothing. It was a wanderer's pleasure, with my food and my can, hidden in the dark, and I felt very far from home.

I associate these places – the swimming pool, the forest and its paths, Hanweiler with its lights and gas station – with Christmas. Summer had no place in my imagination at the time – or let's say: no place at all, let's say I was in a kind of existential winter – and I remember that other ritual of snacking on gingerbread hearts, topped with chocolate, Ricoré and Weihnachtstolle, when I got back from Germany. In the end, it was very childish, or let's say a cross between childhood and some of the more dangerous games that grown-ups don't suspect, like in Stephen King's novels about clowns and the Losers' Club: I'd tag swastikas, or inverted crosses, vandalize statues of the Virgin Mary, wander through the forest with my saw-toothed knife, wander alone in the streets of Hanweiler, then go home to mom, in the warmth of the hearth, and when the TV showed grave desecrations, people would look at me laughing, good-natured, Stéphane the kindly metalhead of the family, so picturesque.

I often scanned the illuminated windows of houses in Germany and elsewhere. I wanted to see what people's homes were like: were they wooded, did they have books, paintings, were they sitting in front of the TV, or standing in the kitchen talking, taking a bath, tinkering in the cellar? I had a family and a home like everyone else, but I spent my life alone in the streets after school, enjoying the cold, and looking out of the windows, trying to imagine the lives of the inhabitants.

It reminds me of that Stephen King short story, All That You Love Will Be Carried Away. The story of a salesman who spends his life on the road and in motel rooms, and whose hobby is to jot down in a notebook the wacky, comic and tragic phrases he finds in the restrooms of highway stops. And who ends up standing in front of a farmer's field one winter evening, when his life is definitely unbearable, with a gun. He stares at the house, trying to imagine what the family members are doing, and gives himself a minute to kill himself, or not.