samedi 27 novembre 2010

Minecraft

Lu dans un article au sujet de Minecraft :

"On est jeté dans le monde (comme dirait Heidegger), un monde insensé qui n’a pas besoin de nous pour exister et dans lequel on est libre de faire ce que l’on veut. La première expérience que l’on fait de Minecraft est la liberté absolue de l’homme dans un monde sans dieu. Car, voyez-vous, la plupart des jeux vidéo présupposent un dieu qui nous juge et nous récompense en nous donnant un grade, des points ou en nous laissant accéder à d’autres niveaux. Rien de cela dans Minecraft ; Minecraft est peut-être le premier FPS athée. Dénué de téléologie les mondes de Minecraft ne prennent un sens que dans l’expérience relative de chacun. L’un donnera du sens à ce monde par la libido sciendi qui lui fera explorer le monde et son sous-sol ; un autre versera dans la libido dominandi et se construira un château depuis lequel il dominera le monde. Mais chacun est libre de donner au monde le sens qu’il souhaite. Dans ce relativisme foncier, on retrouvera un écho de la philosophie personnelle de Lovecraft."

Effectivement, Minecraft nous jette dans un monde infini (au sens propre, quasiment : je viens de lire que la surface de jeu équivaut à huit fois celle la planète Terre), écrasant même par sa simple taille, et menaçant, si l'on choisit le survival mode : la nuit tombe sans cesse, les journées passent vite et dès que le noir revient, les monstres rôdent – zombies, araignées, squelettes, aux bruitages terrifiants. La journée, on continue à se cacher, on fouille sol à la recherche de minerais, on coupe du bois, on essaye de se construire un abri.

Minecraft est l'inverse de l'aventure : pas de début, pas de fin, encore moins de morale ; rien qui n'élève, rien qui n'instruise (si ce n'est sur le néant, la solitude), rien qui ne procure de la joie – c'est un jeu qui pour des tas de raisons que je n'énumérerai pas me semble tout à fait dans l'esprit notre époque : nihiliste et survivaliste.

L'un des premiers mots qui me sont venus à l'esprit en parlant de Minecraft avec un ami lui-même accro (et qui n'est pas du tout d'accord avec moi, comme quoi chacun projette, aussi, ses propres problématiques psychiques et morales sur les jeux auxquels il joue) fut l'adjectif "humiliant".

Humiliant de me voir réduire ainsi à la survie, à la peur, à la paranoïa que le jeu fait surgir avec une facilité incroyable. Humiliant de n'être rien, dans cet univers infini. Humiliant de me voir téléporté, par les moyens les plus avancés de la civilisation technique, dans un état de dénuement et de vulnérabilité complète (là où Sapiens sur Amstrad nous faisait voyager dans la Préhistoire, avec sa violence mais aussi sa poésie – chose ici absente, totalement). C'est l'inverse de l'aventure, oui, et l'inverse du jeu, même – comme Second Life.

Jouer à Minecraft m'est une expérience profondément désagréable jusqu'ici : même en mettant la difficulté au niveau le plus bas, c'est à dire sans monstres du tout, je m'aperçois que je continue névrotiquement à casser des cailloux et à construire des forteresses imprenables, sous le sol ou en hauteur, à dévier des cours d'eau, à m'acharner, en attendant que la nuit tombe, cette nuit sans étoiles et sans aucune source de lumière pour celui qui n'a pas de torches dans son inventaire – désespérant. Une activité complètement obsessionnelle, autistique, qui n'a même plus de but, puisque la nécessité de la survie a disparu – je m'en aperçois seulement aujourd'hui, après plusieurs jours.

J'ai donc décidé d'aborder le jeu sous un autre angle : difficulté à zéro, aucune tentative de construire quoi que ce soit. Je serai un "pur esprit" voyageant à la surface du monde.

M'approprier ce monde en refusant tout simplement l'existence du danger, de la peur et de la nécessité. Nier la nuit.

Je note également qu'à l'échelle collective, puisqu'il existe un mode multi-joueurs, la résistance s'organise – celle de l'esprit, de l'humain, de la civilisation. Je crois qu'au fond personne n'a envie de jouer à Minecraft tel qu'il se présente à son ouverture. Et je suis assez fasciné par ce phénomène : un jeu de survie, dans un espace vierge, impitoyable, muet, qui peu à peu devient un monde multi-joueurs où apparaissent une civilisation, des villes, une économie, une hiérarchie sociale (comme sur Minefield où l'on peut devenir le citoyen d'une authentique ville, se trouver du travail, mettre son argent à la banque...).

Quelque part entre Second Life et un RPG, Minecraft est en train de changer de nature, et c'est une excellente nouvelle. Godard a dit que les travellings sont une affaire de morale ; je crois que le gameplay en est une aussi. Les jeux vidéos nous confrontent à des univers métaphysiques et moraux et il importe de faire son choix, comme dans la "vraie vie", entre ce que l'on accepte et ce que l'on accepte pas.

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