jeudi 16 décembre 2010

Excitation étrange

L'autre soir en sortant du travail, après avoir passé ma journée sur une chaise à taper du code pour mon jeu et avoir passé mon temps à des occupations obsessionnelles, du genre "chercher toutes les photos de Miami disponibles sur Google", je me trouvais dans une sorte d'excitation étrange – elle physique, nerveuse, mentale, sexuelle, même. Je connais bien cet état qui m'arrive de temps à autres, ce long orgasme mental, cette exaltation sans cause ni but, ce torrent de pensées, de fantasmes, de visions et de récits, de souvenirs, qui me submerge.

Je marchais dans les rues, il faisait nuit et le moindre porche d'immeuble, la moindre fenêtre illuminée, le jardin le plus misérable et l'enseigne lumineuse la plus kitsch me ravissaient comme un tout nouveau monde à découvrir, comme des promesses d'aventure infiniment nombreuses – comme si chaque rue et ruelle, chaque porte, chaque recoin n'attendaient que moi, que mon exploration, mon appropriation, comme si la ville entière et ses habitants n'attendaient que moi pour que des histoires se déclenchent, comme si la vie entière n'était qu'un grand terrain de jeu dans lequel s'ébattre.

Ça doit être entre autres l'effet GTA Vice City ou l'effet jeu vidéo en général, j'en ai déjà parlé et c'est quelque chose qui me travaille beaucoup en ce moment. Je joue beaucoup, d'ailleurs, à Vice City, à The Path, à Minecraft, jeux très différents les uns des autres, d'ailleurs, mais chacun m'apprend quelque chose sur le gameplay, sur ce qu'est un jeu, sur pourquoi on joue, dans quel but, pour quel bénéfice dans sa vie.

Je crois que les jeux vidéos et l'attention, la curiosité qu'ils demandent, ont un effet positif sur la vie réelle – loin de nous enfermer dans un monde virtuel, ils nous rendent plus curieux et attentif, on se met dans la vie réelle à adopter l'état d'esprit "explorateur" qu'on a lorsqu'on joue. Ça m'est arrivé, en me promenant le soir, et en débouchant dans un quartier inconnu, de ressentir cette exaltation qu'on a aussi en découvrant de nouveaux lieux dans un jeu vidéo. Cette impression d'avoir face à soi un espace à découvrir et à exploiter, cette impression qu'on est ici et maintenant et que tout peut arriver, qu'on est là pour faire que des choses arrivent. Qui peut se targuer d'éprouver ça quotidiennement, au naturel ? C'est le contraire, la plupart d'entre nous vivent en pilote automatique et ne voient même plus les rues où ils se déplacent d'un point à l'autre, toujours le même, au cours de leurs journées.

Je rêve d'une nouvelle génération de jeux vidéos qui réapprennent à vivre, à voir le monde, à le réinvestir, à en refaire un lieu d'aventure plutôt que de l'infinie répétition du même.

*

En parlant de tout ça avec Eric récemment, j'avais plaisanté en disant que s'il se mettait à la 3D, il n'aurait qu'à créer une sorte de forêt infinie où nous pourrions nous cacher du monde moderne et souffler un peu pour réfléchir collectivement à la contre-offensive – mentale, spirituelle, en l'occurrence. L'idée ne lui avait pas déplu.

Oui, je crois que nous ne sommes plus à l'ère des tracts et des journaux de propagande, ni des meetings ou de tous ces procédés des révolutionnaires (et des pouvoirs en place) au vingtième siècle. Le monde officiel dans lequel nous vivons, aussi bien l'Histoire apprise, que nos valeurs, nos modes de vie, nos ennemis collectifs et nos peurs, nos priorités, notre façon de vivre et de mourir est une narration, une fiction et une esthétique élaborée par quelqu'un ou par personne, mais un mythe dans lequel nous vivons – et c'est normal, l'Homme a besoin de ça.

Les jeux vidéos de demain, si Dieu le veut, seront, entre autres, des contre-narrations, non seulement des autres mondes, mais des contre-mondes aux fonctions et aux buts infiniment nombreux.

Comme je l'avais déjà écrit aussi un jour, le seul vrai Art Contemporain, selon les critères mêmes de l'art contemporain (multidisciplinarité et multimédia, aspect ludique, participation du public, références à la culture contemporaine commune, etc), c'est le jeu vidéo.

À lui donc de récupérer aussi toutes les fonctions autrefois dévolues à tous les arts.

On ne mourra plus pour sauver une cathédrale, un tableau, ou pour défendre une pièce de théâtre, on ira plus à la guerre pour imiter le héros d'un roman, on ne cherchera plus dans un roman non plus de réponses à ses interrogations intimes, on ira plus au cinéma vivre des aventures par procuration. On les vivra réellement ; devant un écran aussi, mais réellement. Et on y trouvera des réponses sur soi-même.

*

Je travaille moi-même à un jeu en ce moment, un jeu entièrement textuel – au lieu d'images, on a du texte qui décrit les lieux et les événements qui se succèdent, et le joueur tape du texte pour agir, par exemple "aller au nord, ouvrir armoire, fouiller armoire, prendre livre", etc.

J'aimerais réussir à programmer une vraie petite Matrice, avec un maximum d'éléments aléatoires, de personnages libres de leurs mouvements, avec aussi la nécessité de manger, de dormir, avec une météo qui change, avec la possibilité si on le souhaite, de ne rien faire d'autre que se promener et vivre, et nouer des relations avec le monde et ses occupants. Mais aussi de vivre des aventures si on le souhaite. Je pense que j'y parviendrai. Cela sera ma première œuvre en tant que démiurge.

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