lundi 14 octobre 2019

News en vrac

J'ai entrepris de jouer sérieusement à toutes les I.F francophones sur le marché (et à toutes celles intéressantes que je trouverai en anglais), pour en tirer des transcripts exploitables par leurs auteurs et des critiques à publier sur l'IFDB.

Voici quelques-unes que j'ai déjà écrites jusqu'ici :

Balrog - Morne Lune
Monsieur Bouc - Comédie
Éric Forgeot - Le Scarabée et le katana
Julien Frison - Castelrous
Hugo Labrande - Divine Bonace
Nicolas Pérot - Irrésistibles possessions
Benjamin Roux - Interra

Je compte au-delà de ces critiques nécessairement courtes sur l'IFDB publier ici même des transcripts commentés de mes parties. Ils aborderont aussi bien des choses très concrètes comme les fautes de frappe (c'est toujours utile pour l'auteur, même s'il ne tient compte d'aucune autre remarque) que des questions théoriques sur le game design propre aux I.F, des points de code (en Inform 7 spécifiquement), etc.

Je commence avec Morne Lune, de Balrog.

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Au-delà de la critique jeu par jeu, je me suis lancé dans une démarche plus vaste et analytique, dont je ne suis pas sûr de savoir exactement à quoi elle peut bien servir, si ce n'est pour le plaisir de la connaissance pure : j'ai commencé, en me basant sur les solutions fournies sur l'IFDB, à comptabiliser le nombre de verbes nécessaires à la complétion de chaque jeu francophone, éventuellement mis en rapport avec la longueur du jeu (le nombre de commandes nécessaires pour arriver au bout).

Je pourrai ensuite les classer, et déterminer quelle est la meilleure I.F de ce point de vue (qui n'en est qu'un parmi d'autres, naturellement). Il sera intéressant aussi de noter quels sont les verbes les plus rares, les plus "exotiques", quels sont les verbes compris par Inform mais qu'AUCUN jeu n'utilise, etc.

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Toujours en parlant de critique, Monsieur Bouc a publié un petit article au sujet de La libération ces jours-ci :

https://mbouc.gitlab.io/blog/test/2019/08/25/La-Lib%C3%A9ration-par-St%C3%A9phane-F.html

J'étais persuadé d'y avoir lu, la première fois, un passage au sujet des actions "inutiles" dans le jeu, inutiles mais servant à caractériser le personnage ou à instaurer une ambiance. Peut-être l'a-t-il retiré. Peut-être ai-je rêvé. En tous cas cela m'a fait repenser à quelque chose qui m'apparaît de plus en plus comme l'une des grandes vérités du game-design, spécifiquement en matière d'I.F.

– Nous sommes là pour raconter des histoires. Construire des récits. Dans l'absolu, pas pour proposer des environnements au joueur où le but principal et le plaisir du jeu consisteraient à fouiller chaque conteneur, soulever chaque élément de décor pour voir si quelque chose est caché dessous, sans justification réelle mais pour "voir ce qui se passe" par curiosité ou, pire encore, parce qu'on est bloqué dans sa progression. Si le personnage doit trouver un objet sous le bureau, il faut bien sûr qu'il puisse le faire parce que le joueur aura tapé spontanément "regarder sous le bureau". Mais il faut aussi et même surtout, à mon sens, qu'il puisse le trouver en se baissant parce qu'il a fait tomber son briquet après que le joueur ait tapé " fumer une cigarette" – ou après n'importe quelle action banale, inutile, et roleplay. Parce que c'est comme ça que les choses arrivent, dans la vie. Et dans les romans, et dans les films. L'I.F ne doit pas faire exception si elle veut être autre chose qu'un simple prétexte à des puzzles.

– Nous ne sommes pas là non plus pour fournir des romans en kit, que l'on lirait par fragments sans rien faire de concret dans le jeu. C'est une erreur que j'ai faite avec L'Observatoire (version concours), où il n'y a à peu près rien à faire, ni pour le personnage ni pour le joueur, si ce n'est cliquer sur des liens qui donnent des informations sur le monde du jeu. Dans une certaine mesure, j'ai peut-être abusé aussi du verbe "penser" dans La Tempête. L'adage dit : "Show, don't tell". Une scène, un PNJ, un dialogue, un objet... sont de meilleurs vaisseaux d'informations sur le monde du jeu, qu'un pavé de texte (comme on en subit souvent à la pelle en début de partie dans les RPG). On pourrait ajouter à cela que toute information sur le monde doit faire suite à une action du personnage-joueur, qu'elle soit utile ou un simple prétexte, comme l'exemple plus haut.

L'inévitable digression

Une autre critique de Monsieur Bouc concernant mes jeux en général, dont il m'a fait part en privé, est ma tendance – dans L'Observatoire comme dans La libération – aux anachronismes et aux ruptures de style. Je ne ressens personnellement pas ces anachronismes, ou plutôt ils ne me choquent pas puisqu'il a toujours été clair dans ma tête qu'il s'agissait d'un monde qui n'est ni le monde actuel, ni un monde post-apocalyptique, ni les années 40, ni le 19è siècle, mais un mélange de tout cela, mélange qui ne relève pas d'une recette visant à créer un monde imaginaire de plus – je ne suis pas DU TOUT dans une optique Steampunk, Dieselpunk, etc – mais simplement du fonctionnement de mon imaginaire, ou des choses apparemment contradictoires cohabitent tranquillement. Je peux mentionner, dans une description, des gardes armés de hallebardes, et plus tard parler du métro, sans que cela ne me soit comme un anachronisme volontaire, calculé ; c'est plutôt une absence de temps, comme d'ailleurs dans le fonctionnement de l'inconscient de tout un chacun.

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J'ai réalisé en jouant à divers jeux sur CPC ces temps-ci, auxquels j'avais joué enfant notamment, que ces anachronismes, pour appeler ça comme ça, venaient sans doute en partie de mes propres souvenirs de joueur.

L'inoubliable SRAM 2 par exemple utilise l'anachronisme (un ascenseur qui mène au sommet d'une tour, permettant de voir les environs ; une barque à moteur qui permet d'explorer les douves d'un château) et les contrastes, ou ruptures de ton, dans un but poétique et qui contribue à instaurer une ambiance de merveilleux, d'humour, d'aventure.

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Dans un jeu comme Le Nécromancien auquel je n'ai pas joué enfant mais qui est à peu près similaire à Ténèbres, que j'avais testé, on trouve quelque chose d'encore plus intéressant pour ce qui m'intéresse aujourd'hui : les anachronismes naïfs, involontaires ; les ruptures de ton qui ne doivent rien au design mais simplement à une certaine maladresse de l'auteur, et qui donnent finalement un charme inattendu au jeu.







Il ne s'agit pas ici de gros anachronismes, on ne croise pas une moto au milieu d'un décor médiéval. C'est moins une question d'éléments de décors ou d'objet que de vocabulaire – on s'attend rarement à croiser des "concierges" et des types partis "boire un coup" dans un jeu de fantasy, et c'est ce qui donne son charme au Nécromancien, cette très légère impression, presque inconsciente en jouant, d'être dans une temporalité assez vague, ni contemporaine, ni entièrement médiévale, ni dans le monde réel, ni dans un monde 100 % fantasy.

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Mon vieux copain Xavier m'a dit récemment que les photos de mes petites vacances à Troyes lui faisaient penser aux illustrations de la vieille édition de Warhammer RPG qu'il a chez lui. Cela m'a d'autant moins étonné (je parle moins de la comparaison elle-même que du processus de pensée) que moi-même j'ai toujours été fasciné par les graphismes de Fer & Flammes, par exemple, parce qu'ils me rappelaient les ruelles et les vieilles maisons de petites villes ou villages alsaciens délabrés, non loin de chez moi.

À moins que ce ne soit l'inverse ? Ou qu'il n'y ait, comme pour l’œuf et la poule, aucune réponse à la question d'un ordre. Les lieux de fiction et les lieux réels ont un échange continu, dialoguent en permanence dans nos esprits. Le temps n'existe pas. Le réel est un mille-feuilles de temporalités, et il renvoie à des fictions situées dans des époques diverses ; les fictions elles-mêmes renvoient au monde réel.

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J'ai rejoué à Saga, toujours sur CPC, des derniers jours. J'avais à peu près tout oublié de ce jeu, si ce n'est qu'il m'avait plu et que ses décors m'avaient marqué, enfant, car bien que mettant en scène un monde médiévalisant, ils me rappelaient mon univers réel, à moi, mon environnement immédiat.



L'image ci-dessus me faisait penser, enfant, aux Vosges, où mes parents nous emmenaient en vacances. Je réalise au passage que ces dessins noirs sur fond vert me rappellent aussi certaines très vieilles revues régionalistes, bourrées de vieilles gravures folkloriques, qui m'intriguaient et me fascinaient même, adolescent (c'est vous dire à quel point je suis un gros ringard depuis longtemps) et qui étaient, précisément, généralement imprimées sur un papier verdâtre, bon marché.





Rien de si "médiéval" dans ces vues d'un vieux village. Un mur de cimetière décrépi, un chemin de terre, des maisons au loin. Le jeu pourrait tout aussi bien se passer dans une bourgade arriérée en 2019.

Cet anachronisme qui n'en est pas vraiment un participe lui aussi de cette impression, en jouant, de n'être dans aucune époque précise, en réalité, ni même dans aucun univers précis – ni monde réel, ni monde imaginaire de fantasy – mais dans une sorte d'éternité qui est celle de la mémoire, de la culture, où tout est superposé.

News en vrac, suite

En parlant de CPC, j'avais déjà évoqué ici un jeu que j'avais commencé adolescent, à 15 ans pour être exact, appelé Les Masques du Carnaval.

Aussi étrange que ce soit, j'avais tout simplement oublié son existence, pendant des années et des années. Je crois que même quand j'ai commencé à m'intéresser à la fiction interactive par l'intermédiaire d'Éric Forgeot (avec qui je faisais de la musique depuis des années) en 2007, le souvenir de ce jeu avorté était encore enfoui, inconscient. Il a fallu que je passe en revue mes disquettes après avoir réparé mon Amstrad il y a quelques années, et retrouve les fichiers, pour que cela me revienne.







J'ai uploadé le jeu sur mon compte itch.io :

https://stephanef.itch.io/les-masques-du-carnaval

... mais les deux principaux sites français consacrés à l'Amstrad, CPC Rulez et CPC Power, m'ont fait l'honneur de l'y héberger aussi :

https://cpcrulez.fr/GamesTest/les_masques_du_carnaval.htm

https://www.cpc-power.com/index.php?page=detail&num=16857

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Je continue lentement mais inlassablement à travailler sur L'Observatoire, qui commence sérieusement à me déprimer et me fatiguer. Le dialogue final entre Paloma et le personnage-joueur est "long" et complexe (ou en tous cas, très non-linéaire) et même en dehors des aspects techniques, ce que l'écriture proprement dite demande comme remuage de vieilles boues personnelles est spécialement pénible.

Quelqu'un a qui j'ai fait tester le jeu dans sa version actuelle m'a dit que ça sonnait très autobiographique, et j'en ai conscience – c'est même sans doute beaucoup trop autobiographique. Même si j'ai ajouté beaucoup de fiction, même si j'ai remixé des éléments de ma propre vie, en les rendant relativement méconnaissables, pour construire le trajet du personnage-joueur et de son interlocutrice, le tout dégage sans doute inévitablement quelque chose de très personnel qui peut être dérangeant à lire, ou simplement inintéressant. Tant pis. Ce sera mon petit moment Modiano à moi.

Ceci étant, comme je le disais, travailler sur L'Observatoire est pénible et je réalise que je commence à avoir fait le tour – émotionnellement – de toutes ces histoires de passé qui resurgit, d'errance hallucinée dans les décombres de sa propre vie, BLABLABLA... et je me dis que je vais éviter ce genre de thématiques mais mes prochains jeux, au moins dans les temps à venir.

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D'avoir travaillé sur La Tempête m'a fait éprouver une certaine nostalgie pour le parser, et fait réaliser que le fait de taper des commandes avait quelque chose de plus engageant – dans tous les sens du terme – que de cliquer sur des liens. On agit avec son corps, et cela renforce l'impression d'agir dans le jeu.

Intuition plus tard confirmée par une discussion avec Monsieur Bouc, qui me disait avoir du mal à s'intéresser à L'Observatoire, justement, car il avait l'impression de pouvoir se contenter de cliquer au hasard pour aller du début à la fin du jeu, et que cette seule possibilité technique suffisait à détruire l'engagement dans le jeu, le concernant. C'est une remarque qui m'a un peu froissé mais dont j'ai compris de suite qu'il fallait la prendre extrêmement au sérieux.
 
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Tout ça pour dire que j'ai recommencé à travailler sur un petit jeu qui a été mon tout premier projet de fiction interactive, codée à partir d'un brouillon que m'avait écrit Éric Forgeot vers 2008 ou 2009 je ne sais plus, alors que je ne comprenais absolument rien à Inform et que j'avais besoin qu'on me mette le pied à l'étrier.

J'étais parti d'une simple vision, quelque chose d'irrationnel, que je n'éprouvais pas le besoin de (me) justifier : un homme se réveille, en costume blanc, confus et couvert de sang, sur une plage, la nuit, aux abords d'un bar minable pour marins.

J'avais crée toute une ville – des dizaines de rooms – à explorer, mais je n'avais pas la moindre idée de comment expliquer cette scène d'introduction, ni comment justifier, d'un point de vue scénaristique, que le personnage-joueur visite tous les lieux, rencontre tous les PNJ, etc.



Je me dis aujourd'hui, après tant d'années, et après un détour par l'hypertexte, que ce scénario primitif mérite d'être revisité, dans le cadre de mon retour partiel et un peu plus pensé qu'à mes débuts (Dieu merci !) au parser. Pas juste pour le plaisir, mais parce que l'histoire elle-même et l'expérience de jeu que je veux transmettre au joueur nécessitent le parser.

Avec un espace et une temporalité bien définis, bien délimités, un début, une fin, bref quelque chose de finissable, de sortable, de jouable.

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Je me suis longtemps demandé d'où venait cet effet étrange que produit en moi le "vous voyez, vous entendez..." dans les fictions interactives.

Je l'ai compris au bout de dix ans en reprenant cette ébauche, avec son personnage ensanglanté et perdue : on est mort ou en train de délirer, et la voix qui nous parle est là pour nous guider.

Car voilà ce que l'on sera, dans ce jeu : une espèce de fantôme guidé par une voix intérieure – "vous êtes sur une plage, vous voyez ceci, cela" – qui erre librement dans des décors pour essayer de comprendre ce qui lui arrive.

Cela fait des années que j'ai cette intuition de l'I.F à parser comme rêve dirigé, éveillé, séance d'hypnose... donc le narrateur restait une instance à préciser. Encore une fois, qui êtes cette voix qui dit "Vous voyez ceci" ? Et si mon but est de rendre hommage / parodier / transcender l'énonciation traditionnelle des I.F (Vous voyez ceci, etc) en en faisant une sorte de rêve dirigé avec le narrateur comme chaman-thérapeute, alors je dois jouer le jeu jusqu'au bout et laisser le joueur PARLER lui aussi. Proposer des actions qui lui viennent à l'esprit comme un malade ou un mourant sur son lit.

Avec ce jeu-là, je propose une réponse qui trouve sa justification intradiégétique – elle ne vaut sans doute que dans le cadre de mes propres obsessions, mais c'est indéniablement une réponse.

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