samedi 9 décembre 2023

Il est midi à Issegeac

Mon but n'est pas de théoriser sur le jeu vidéo en général, ni sur la poétique. Ni d'inventorier je ne sais quelles règles universelles qui régissent l'imaginaire.

Je ne cherche qu'à étudier, à travers quelques jeux qui m'ont marqué personnellement, et à un jeune âge où l'imaginaire personnel est en construction pour le reste de la vie, quels effets les choix esthétiques, thématiques, poétiques, techniques... de ces jeux ont eu eu sur moi.

Découvrir pourquoi ils me fascinaient à l'époque et pourquoi, trente ans après, ils continuent à m'habiter et à peser sur le regard que je porte autant sur d'autres œuvres, que sur le monde lui-même et l'existence.

Parmi eux, en très bonne place, La Secte Noire – développé et édité par Lankhor en 1990 sur Amstrad CPC.

Penchons-nous sur quelques-uns de ses lieux :

Le Bourg d'Issegeac

>regarde chat

Mauvais présage

>prends chat

Pas touche !

>regarde fontaine

De l'eau fraîche y coule

>regarde eau

Elle est limpide

>fouille eau

Quel fouineur !

>bois eau

Te voilà désaltéré

>ouvre porte

Très drôle !

>regarde sol

Rien n'y traîne

Je me souviens d'un poème, de Maurice Carême ou Prévert ou je ne sais plus qui, découvert adolescent, probablement dans un manuel scolaire, qui m'avait marqué.

Il est midi

A Loctudy.

C'est dimanche, les cloches sonnent.

Dans le port, il n'y a personne.

Tout-à-fait le genre de poème hyper naïf et gentillet qu'on dirait taillé, justement, pour finir dans un manuel de français – tout comme les grandes phrases des grands hommes, au hasard, Victor Hugo ou Paul Nizan, m'ont toujours donné l'impression de n'avoir eu d'autre but que de finir recopiés fiévreusement sur la page de garde de l'agenda de chaque lycéenne sentimentale, et probablement sur son mur Facebook aujourd'hui.

Bref. Issegeac. Notons que dans la prétendue "vraie vie" le bourg s'appelle Issigeac. Est-ce ici une faute de frappe ou quelque chose d'intentionnel ? Peu importe à vrai dire.

Aucune interaction avec le chat, à proprement parler, et avec les autres éléments de décor. Cela renforce l'impression de solitude qui ouvre le jeu, et durera toute la première partie. Il n'y a pas de passants, de villageois, aucun PNJ. Le chat est "muet", limité à son rôle de mauvais présage – et assez mignon, en même temps.

Issegeac est censé, selon la notice du jeu, se trouver dans le Périgord Noir. La vraie commune d'Issigeac, elle, est située dans le Périgord Pourpre. Le Pourpre, le noir : on est dans le domaine du deuil, de l'occulte, des ténèbres.

Mes parents nous avaient emmenés en vacances dans le Périgord en 1998. Je ne m'attendais à rien de particulier mais dans un recoin de mon esprit " Périgord Noir" évoquait quelque chose de très rural, très reculé, désert, mystérieux, et évidemment les coins touristiques que nous avions visité n'étaient rien de tout cela. Mais il est vrai aussi qu'on ne laisse jamais les touristes approcher du real stuff.

Le jeu commence à 18h, d'où peut-être la lumière jaunâtre qui enveloppe tout. Quelque part entre le réconfortant (c'est l'heure de l'apéro) et la menace qui approche. En même temps il pourrait être midi (à Loctudy), on est dans une sorte de non-temps, d'endormissement et même de non-vie, de stase que seul un chat noir vient, à peine, troubler.

*

Les Ruines du Pendu

>regarde pont

En ruines

>ouvre porte

Ça résiste

>casse porte

Acte de vandalisme qui peut coûter cher !

>regarde porte

Elle est blindée

On ne peut pas vraiment ici parler de "toponymie". Il faudrait trouver un nouveau terme pour les noms des écrans, dans les jeux d'aventures à illustrations statiques. Les noms des "rooms" relève autant de la toponymie que de l'indice au joueur, ou de la blague, ou de la poésie pure.

La toponymie – je vais utiliser ce terme quand même – participe autant que les illustrations ou les sons à l'ambiance dégagée par le jeu, aux constructions imaginaires que le joueur échafaude, consciemment ou pas, en jouant.

Pourquoi les Ruines "du Pendu" ? On s'en moque, bien entendu, mais l'effet, lui est bien là. La toponymie donne des micro-informations sur le monde du jeu, sans les développer. Pour étendre artificiellement (mais avec quelle efficacité) le mystère. Donner des os à ronger. Laisser le joueur créer du sens, sans s'en rendre compte.

Une porte qui n'a aucun rôle dans l'histoire, que l'on ne peut pas ouvrir.

Un pont en ruines, impassable.

C'est mieux, comme ça, que si on avait pu ouvrir la porte, franchir le pont.

*

Le Pont du Silence

>regarde eau

Elle est boueuse

>fouille eau

Quelle idée

>regarde pont

C'est du solide

>regarde arbre

Il est très ordinaire

>monte arbre

Moi j'aime pas grimper

>regarde sol

Vous êtes admiratif ?

L'eau est boueuse ; le Mal est présent au village et aux alentours. Il souille tout.

Le silence... Souvenirs de mes balades solitaires. Le monde est silencieux ou à peu près silencieux. C'est le bavardage humain et les bruits humains qui le font oublier, au quotidien.

On pourrait d'ailleurs considérer les bruits naturels – eau qui coule, vent dans les arbres, pluie et tonnerre, chant des criquets, etc – comme faisant partie du silence, dont le contraire serait la voix humaine. Même celle d'un seul humain qui se parle à lui-même, mentalement.

Ce silence de la nature est angoissant, peut être angoissant, en tous cas, non pas parce qu'il serait le signe de notre solitude, et donc de notre plus grande vulnérabilité à un quelconque danger, mais surtout parce qu'il est le signe du silence, du vide, qui règne en nous-même ; sous le bavardage incessant que, même seul, nous entretenons.

*

L'Antre du Malin

>prends pelle

T'as envie de bosser ? 

>regarde crâne

Examen peu révélateur

>regarde tombe

Elle a été profanée

>fouille tombe

Il ne reste qu'un crâne

>prends crâne

Surtout, n'y touche pas

>regarde pelle

Abandonnée par le fossoyeur

Le mauve est dans l'Église catholique au moins la couleur du temps d'épreuve, d'attente, mais aussi du deuil – c'est ainsi que le prêtre porte une chasuble mauve pour les enterrements. Très bon choix de couleur pour cette room, donc.

Quelques détails intéressants :

La pelle est d'une couleur différente, remarquable, disons, et cela laisse – volontairement ou non – le joueur penser qu'il y a quelque chose à faire avec cette objet.

De la même manière, une seule tombe porte une croix de la même couleur. Là aussi : volonté de faire croire au joueur qu'il y a des actions à tenter sur cet objet ?

Pourquoi ne doit-on pas toucher au crâne ? Vous l'avez compris, personne ne le sait, pas même les concepteurs du jeu, et c'est parfait comme ça. Cette façon, aussi, de s'adresser au joueur, sur un mode autre que purement informatif, a un impact sur la manière dont le jeu est vécu. Après le chat noir, c'est le "narrateur" du jeu lui-même, narrateur à l'identité inconnue et inconnaissable, qui s'adresse au joueur comme s'il était une sorte d'oracle ou d'accompagnateur.

*

L'Impasse du Nord

>regarde eau

C'est de l'eau, quoi !

>regarde arbre

Bizarre ???

>regarde sol

Aucune indication

>fouille eau

C'est pas utile

>monte arbre

Attention, ça glisse

>descends eau

Trop risqué

Ciel uniforme, chargé, menaçant. Romantisme de l'automne, souvenirs de balades d'enfance et d'adolescence dans ce genre de temps, ce genre de luminosité. L'arbre est très éclairé par rapport au reste, comme parfois justement, un soleil puissant accompagne des ciels très lourds.

Ici aussi la poésie des noms. Impasse du Nord, Chapelle du Nord.

Ça vaut bien Quai des Brumes ou que sais-je.

Les ciels dans La Secte Noire me travaillent, décidément. Qu'y-a-t-il derrière ces rochers ? Qu'éclaire ce ciel blafard ?

Il m'est arrivé un certain nombre de fois, enfant et adulte, de rêver de ce jeu ou d'autres ; de rêver que je découvrais, de manière accidentelle, inattendue, inespérée, des lieux encore jamais visités, banals ou magnifiques, mais qui enfin me livraient quelques secrets supplémentaires. Et quand bien même ils ne livraient aucun secret, découvrir une nouvelle room était une expérience d'une intensité presque mystique.

*

Les Terres brûlées

Décor et couleurs qui jurent avec l'écran précédent.

Comme dans un rêve, on change du tout au tout, en deux pas.

À la différence que dans un jeu d'aventure, on peut retourner en arrière, puis revenir, etc.

*

Une branche d'arbre qui ouvre un tunnel dans la roche, débouchant lui-même dans une sorte de cour de château, d'où l'on accède à un carrefour dans la "montagne". La succession des lieux n'est presque pas représentable dans la réalité. L'impression d'onirisme se renforce. Dans un jeu comme Orphée : Voyage aux enfers c'est la règle du début à la fin ; on passe d'une jungle à un quartier de HLM d'un écran à l'autre. La Secte Noire est plus réaliste... mais seulement en apparence.

*

Le Puits du Diable

Végétation luxuriante, couleurs chaudes, un portail, de la pierre ; je me souviens qu'enfant cette room-là m'évoquait des choses agréables. La chaleur de l'été, l'odeur lourde de la végétation, les vieilles propriétés qui servent de maison de vacances, les dîners dehors. Pour un peu, en regardant cette illustration, j'entendrais des grillons chanter.

Rien dans le jeu, bien entendu, ne laisse entendre quoi que ce soit d'aussi sympathique, d'aussi convivial. Mais nous plaquons toujours nos propres souvenirs et représentations sur ce que les jeux vidéos nous donnent à voir. Pour une raison incompréhensible, les ciels gris et les arbres morts de Morrowind me rappellent mes balades d'enfance dans la vallée de la Blies. Iron Lord m'évoque les Vosges, les ruines de châteaux qu'on y trouve, les forêts de sapin à perte de vue. Et ainsi de suite. De la même manière que chaque lecteur participe au roman qu'il lit en donnant un visage, souvent tiré de sa vie personnelle, aux personnages, aux lieux.

It's midday in Issegeac

My aim is not to theorize about video games in general, nor about poetics. Nor is it to invent some universal rules that govern the imaginary.

All I'm trying to do is study, through a few games that have had a personal impact on me, and at a young age when the personal imagination is under construction for the rest of one's life, what effects the aesthetic, thematic, poetic and technical choices of these games have had on me.

To discover why they fascinated me at the time and why, thirty years on, they continue to inhabit me and influence the way I look at other works, as well as at the world itself and at life itself.

Prominent among them is La Secte Noire – developed and published by Lankhor in 1990 for the Amstrad CPC.

Let's take a look at some of its locations:

Le Bourg d'Issegeac (The Village of Issegeac)

>examine cat

Bad omen

>take cat

Don't touch!

>examine fountain

Fresh water flows

>examine water

It's clear

>search water

What a busybody!

>drink water

You've quenched your thirst

>open door

Very funny!

>examine floor

Nothing's lying around

I remember a poem, by Maurice Carême or Prévert or whoever, which I discovered as a teenager, probably in a school textbook, and which made an impression on me.

It's midday

in Loctudy.

It's Sunday, the bells are ringing.

There's no one in the harbor.

It's the kind of hyper-naïve, sweet poem that looks like it's been cut out to end up in a French textbook – in the same way that the great sentences of great men, such as Victor Hugo or Paul Nizan, have always given me the impression that they had no other purpose than to end up feverishly copied onto the front page of every sentimental high-school girl's diary, and probably onto her Facebook wall today.

Well. Issegeac. Note that in so-called "real life" the village is called Issigeac. Is this a typo or something intentional? It doesn't really matter.

There's no interaction with the cat, strictly speaking, or with the other scenery elements. This reinforces the impression of solitude that opens the game, and will last throughout the first part. There are no passers-by, no villagers, no NPCs. The cat is "mute", limited to its role as a bad omen – and quite cute, too.

Périgord is a natural region and former province of France, which corresponds roughly to the current Dordogne department, now forming the northern part of the administrative region of Nouvelle-Aquitaine. It is divided into four areas called the Périgord Noir (Black), named so for the truffles that can be found there, the Périgord Blanc (White), for chalk cliffs and quarries, the Périgord Vert (Green), for forests and forestry and the Périgord Pourpre (Purple), for wine and viticulture. 

Issegeac is supposed, according to the game instructions, to be in the Périgord Noir (black Périgord). The real commune of Issigeac, on the other hand, is located in Périgord Pourpre (purple Périgord). Purple, black: this is the realm of mourning, of the occult, of darkness.

My parents took us on vacation to the Périgord in 1998. I wasn't expecting anything special, but in the back of my mind, "Périgord Noir" evoked something very rural, very remote, deserted, mysterious, and obviously the tourist spots we visited were nothing like that. But it's also true that tourists are never allowed anywhere near the real stuff.

The game starts at 6pm, hence perhaps the yellowish light that envelops everything. Somewhere between comforting (it's aperitif time) and approaching threat. At the same time, it could be midday (in Loctudy), and we're in a kind of non-time, sleepiness and even non-life, a stasis that only a black cat barely disturbs.

*

Les Ruines du Pendu (The Hanged Man's Ruins)

>examine bridge

In ruins

>open door

It resists

>break door

An act of vandalism that can be costly!

>examine door

It's armored

We can't really talk about "toponymy" here. We'd have to find a new term for screen names in adventure games with static illustrations. Room names are as much toponymy as a hint to the player, or a joke, or pure poetry.

Toponymy – I'm going to use that term anyway – contributes as much as illustrations or sounds to the atmosphere created by the game, to the imaginary constructions that the player builds, consciously or unconsciously, while playing.

Why the "Ruines du Pendu"? We don't care, of course, but the effect is there. Toponymy provides micro-information on the game world, without expanding on it. To artificially (but effectively) extend the mystery. To give the player something to gnaw on. To let the player create meaning, without realizing it.

A door that has no role in the story, that can't be opened.

A bridge in ruins, impassable.

It's better this way than if we'd been able to open the door and cross the bridge.

*

Le Pont du Silence (The Bridge of Silence)

>examine water

It's muddy

>search water

What an idea

>examine bridge

It's solid

>examine tree

It's very ordinary

>climb tree

I don't like climbing

>examine ground

Are you an admirer?

The water is muddy; evil is present in and around the village. It stains everything.

The silence... Memories of my solitary walks. The world is silent or almost silent. It's human chatter and human noises that make us forget it, on a daily basis.

In fact, natural sounds – running water, wind in the trees, rain and thunder, locusts singing, etc. – could be considered part of silence, the opposite of which would be the human voice. Even that of a single human talking to himself, mentally.

This silence of nature is distressing, can be distressing, in any case, not because it would be the sign of our solitude, and therefore of our greater vulnerability to any danger, but above all because it is the sign of the silence, the emptiness, that reigns within ourselves; beneath the incessant chatter that, even alone, we maintain.

*

L'Antre du Malin (The Devil's Den)

 (

>take shovel

You feel like working? 

>examine skull

Unrevealing examination

>examine grave

It's been desecrated

>search grave

Only a skull remains

>take skull

Above all, don't touch it

>examine shovel

Abandoned by the gravedigger

In the Catholic Church, mauve is at least the color of trial, of waiting, but also of mourning – that's why the priest wears a mauve chasuble for funerals. An excellent choice of color for this room, then.

Some interesting details:

The shovel is a different color, a remarkable one, let's say, and it leaves – intentionally or not – the player thinking that there's something to do with this object.

Similarly, only one grave bears a cross of the same color. Here too, is the intention to make the player believe that there are actions to be attempted on this object?

Why can't we touch the skull? As you can see, nobody knows, not even the game designers, and that's just fine. This way, too, of addressing the player, in a mode other than purely informative, has an impact on the way the game is experienced. After the black cat, it's the game's "narrator" himself, a narrator with an unknown and unknowable identity, who addresses the player as if he were some kind of oracle or guide.

*

L'Impasse du Nord (North Dead End)

>examine water

It's water!

>examine tree

Weird???

>examine soil

No indication

>searchwater

Not useful

>climb tree

Careful, it slips

>enter water

Too risky

Uniform, heavy, threatening sky. Autumn romanticism, memories of childhood and teenage walks in this kind of weather, this kind of luminosity. The tree is much brighter than the rest, just as sometimes a powerful sun accompanies very heavy skies.

Here too, the poetry of names. Impasse du Nord, Chapelle du Nord.

As good as Quai des Brumes or whatever.

The skies in La Secte Noire really get to me. What's behind those rocks? What does that pale sky illuminate?

A number of times, as a child and as an adult, I've dreamt of this game or others; dreamt that I'd discovered, accidentally, unexpectedly, unhoped-for, places never visited before, banal or magnificent, but which finally gave me a few more secrets. And even if they didn't, discovering a new room was an experience of almost mystical intensity.

*

Les Terres brûlées (The Scorched Lands)

 (

Décor and colors in stark contrast to the previous screen.

It's like being in a dream, changing from one place to another in just two steps.

The difference is that in an adventure game, you can go back, come back and so on.

*

A tree branch opens up a tunnel in the rock, which in turn leads to a sort of castle courtyard, from where you can access a crossroads in the "mountain". The succession of locations is almost unrepresentable in reality. The impression of onirism is reinforced. In a game like Orphée : Voyage aux enfers, this is the rule from start to finish; you go from a jungle to a council estate from one screen to the next. La Secte Noire is more realistic... but only in appearance.

*

Le Puits du Diable (The Devil's Well)

Lush vegetation, warm colors, a gate, stone; I remember that as a child this room evoked pleasant things. The heat of summer, the heavy smell of vegetation, old properties used as vacation homes, dinners out. Just for a moment, looking at this illustration, I'd hear crickets chirping.

There's nothing in the game, of course, to suggest anything so friendly, so convivial. But we're always applying our own memories and representations to what video games show us. For some incomprehensible reason, the gray skies and dead trees of Morrowind remind me of my childhood walks in the Blies valley. Iron Lord reminds me of the Vosges mountains, with their castle ruins and fir forests as far as the eye can see. And so on. In the same way that each reader participates in the novel they read by giving a face, often drawn from their personal life, to the characters and places.

jeudi 30 novembre 2023

Fog

I realized recently that fog, in real life, has exactly the same effect as fog in old games like Morrowind or Might and Magic IX. It adds charm and mystery to things because it hides the fact that the world is repetitive, unsurprising and – hardly exaggerating – uninteresting.

It's an artificial charm, an artificial mystery, of course: because you can't see into the distance, you expect to discover something gradually more beautiful and richer than what the mist actually hides. That said, it doesn't matter. Just as the illusion of freedom is freedom, the illusion of mystery is mystery.

Brouillard

J'ai réalisé récemment que le brouillard, dans la vrai vie, avait exactement le même effet que le brouillard dans les vieux jeux comme Morrowind ou Might and Magic IX. Il donne du charme et du mystère aux choses parce qu'il cache le fait que le monde est répétitif, sans surprise et – en exagérant à peine – sans intérêt.

C'est un charme artificiel, un mystère artificiel, bien entendu : comme on ne voit pas au loin, on s'attend à découvrir petit à petit quelque chose de plus beau et de plus riche que ce la brume cache réellement. Ceci dit, peu importe. De même que l'illusion de la liberté est la liberté, l'illusion du mystère est le mystère.

mercredi 30 août 2023

Gone Home (english)

To start with a quote from another game, What Remains of Edith Finch :

The house was exactly like I remembered it. The way I'd been dreaming about it. As a child, the house made me uncomfortable in a way I couldn't put into words. Now, as a 17-year-old, I knew exactly what those words were. I was afraid of the house.

A few years ago, Yann Leroux interviewed me on Skype, among other people, as part of a study he was doing on the role and weight of locations in video games, for gamers (I've never seen the results of this study and regret it, as the subject is fascinating).

I wrote about it here:

https://l-idiot-mystique.blogspot.com/2015/10/some-thoughts-on-weight-of-places-in.html

I think I went on at length to describe my feelings about Gone Home, a game whose scenario left me relatively indifferent, but whose exploration of places in themselves, for themselves, had, on the other hand, transfixed me.

However, there's nothing very threatening about the scenery, and even if the rain at the start, the empty house, the shadow play... all conspire to create an atmosphere of mystery, in no way does Gone Home really try to scare the player - but it's true that generally games that try to scare the player do so in such a crude way, like Alan Wake, which I intensely disliked, that anything that doesn't fall into that category falls into the "creepy games" category.

I remember telling Leroux (but why? in what context?) that my most vivid, haunting memories, the ones that haunt me and have shaped my personality, are rarely "biographical" memories - i.e. linked to events – but memories of perception.

The play of light through the shutters in the morning, in the Vosges chalet where we usually spent our vacations.

The yellowish light in the kitchen, in the early hours of the morning, when it was dark, in the small apartment where we lived when my sister and I were still children.

The strange, vaguely distressing sound, for reasons difficult to formulate, of water running through the pipes at my parents' house, when I took a bath at night, alone at home.

The greyness, dirt and rusty garage doors of Nancy, when I first drove there in 1998.

And so on and so on.

When I started Gone Home, I was transformed into pure perception. Obviously, the game has a storyline, but to be honest I've never managed to get interested in it; not that it's uninteresting in itself, but finding myself in this empty house, at night, with the sound of the storm outside and all the time I want to wander around and examine every room, every object, from every angle, exerts such a fascination on me that no story could really interest me.

The game is set in the 90s, which doesn't help matters since that's the decade in which I spent my adolescence, and the few cultural, musical, video-game and other references offered by the places to explore are those of my own past. Gone Home allows you to (re)live an experience that everyone does, of course, in their lives, but here it's accentuated by the fact that it's at the heart of the game: realizing that you're embodied in an era, with its daily way of life, its aesthetics, its objects, its architecture. And, above all, to become aware of all that is ineffable, untransferable and so soon to be forgotten.

Gone Home (français)

Pour débuter avec une citation d'un autre jeu, What Remains of Edith Finch :

The house was exactly like I remembered it. The way I'd been dreaming about it. As a child, the house made me uncomfortable in a way I couldn't put into words. Now, as a 17-year-old, I knew exactly what those words were. I was afraid of the house.

Il y a quelques années, Yann Leroux m'avait interviewé sur Skype, parmi d'autres personnes, dans le cadre d'une étude qu'il faisait sur le rôle, le poids les lieux dans les jeux vidéos, pour les joueurs (je n'ai jamais vu les résultats de cette étude et le regrette car le sujet est passionnant).

J'en avais parlé ici même :

https://l-idiot-mystique.blogspot.com/2015/10/quelques-reflexions-sur-le-poids-des.html

Je lui avais longuement, je crois, décris mes sentiments liés à Gone Home, qui est un jeu dont le scénario m'a laissé relativement indifférent mais dont l'exploration des lieux en eux-mêmes, pour eux-mêmes, m'avait, en revanche, tétanisé.

Les décors n'ont pourtant rien de très menaçant, et même si la pluie du début, la maison vide, les jeux d'ombres... conspirent à installer une ambiance de mystère, en aucun cas Gone Home n'essaie réellement de faire peur au joueur – mais il est vrai que généralement les jeux qui essaient de faire peur au joueur le font d'une manière tellement grossière, comme Alan Wake, que j'ai intensément détesté, que tout ce qui ne tombe pas dans ce travers-là sort de la catégorie "jeux flippants".

Je me souviens avoir dit (mais pourquoi ? dans quel cadre ?) à Leroux que mes souvenirs les plus marquants, les obsédants, ceux qui me hantent et ont façonné ma personnalité, étaient rarement des souvenirs "biographiques" c'est-à-dire lié à des événements – mais des souvenirs de perception. 

Le jeu de la lumière à travers les volets, le matin, dans ce chalet des Vosges où nous passions habituellement nos vacances.

La lumière jaunâtre dans la cuisine, au petit matin, quand il faisait sombre, dans ce petit appartement où nous habitions quand ma soeur et moi étions encore enfants.

Le son étrange, vaguement angoissant, pour des raisons difficiles à formuler, de l'eau passant dans les canalisations, chez mes parents, quand je prenais un bain la nuit, seul à la maison.

La grisaille, la saleté, les portes de garages rouillées, à Nancy, quand j'y suis arrivé en voiture en 1998. 

Et ainsi de suite.

En démarrant Gone Home, je me transforme en perception pure. Évidemment, le jeu a un scénario mais pour être honnête je n'ai jamais réussi à m'y intéresser ; non qu'il soit en lui-même inintéressant, mais me retrouver dans cette maison vide, la nuit, avec le bruit de l'orage au dehors et tout le temps que je veux pour y errer et examiner chaque pièce, chaque objet, sous tous les angles, exerce sur moi une fascination telle qu'aucune histoire ne pourrait vraiment m'intéresser.

Le jeu se déroule dans les années 90, ce qui n'arrange rien puisque c'est la décennie au cours de laquelle j'ai vécu mon adolescence, et les quelques références culturelles, musicales, vidéoludiques, etc, que proposent les lieux à explorer sont ceux de mon propre passé. Gone Home permet de (re)vivre une expérience que chacun fait, bien entendu, dans sa vie, mais ici accentuée par le fait qu'elle est au coeur du jeu : réaliser que l'on est incarné dans une époque, avec son mode de vie quotidien, son esthétique, ses objets, son architecture. Prendre conscience surtout de tout ce qu'il y a d'ineffable, d'intransmissible, et de si vite promis à l'oubli dans tout cela.