"Comme le rêve, le jeu vidéo met en scène des théâtres des psychés individuelles ; comme le rêve, il met en image et en narration des désirs et des angoisses ; comme le rêve, il explore dramatise et explore des positions imaginaires. [...] Ainsi, les jeux vidéo sont des dispositifs dans lesquels les joueurs déposent individuellement et collectivement des processus psychiques. Ce sont des dispositifs de transformation par lesquels la culture encrypte et décrypte les angoisses des temps présents. Ils exposent et expliquent les transformations que nous vivons et les angoisses qu’elles suscitent qu’elles concernent les corps sociaux ou les corps individuels. Les jeux vidéo sont un des lieux d’élaboration d’angoisses sociales et individuelles que nous offre la culture."
Yann Leroux
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En vrac, quelques notes que j'ai prises préalablement à un entretien avec Yann Leroux au sujet des lieux dans les jeux vidéos, question sur laquelle il mène une étude.
– Mon rapport à l'exploration dans les JV est identique à mon rapport à la promenade dans la vie réelle. Pas obligatoirement besoin d'exotisme ou de lieux exceptionnels à voir ; juste le besoin de marcher et de me sentir "au monde", conscient, attentif, ouvert à l'extérieur. Le plaisir de découvrir une rue inconnue, de voir un endroit familier sous un angle différent, etc. Être attentif à ses propres émotions et pensées qui viennent au fil des lieux visités et de leur ambiance propre. Je considère cela comme une forme de méditation.
– Gone home : le lieu est une narration en soi. On y projette aussi ses propres angoisses, indépendamment de l'histoire portée par le jeu — qui m'a mis très mal à l'aise presque comme un jeu d'horreur, alors que ça n'est pas sa première ni unique intention.
– Syberia. Pathologic. Certains bâtiments, certaines ambiances me rappellent des lieux réels, oniriques, ou qui existent en moi sur ces deux plans. Nancy et Sarreguemines, leur côté industriel, délabré, etc... Rapport compliqué à ces lieux : nostalgie mêlée d'angoisse. Mais besoin d'y retourner.
– Plaisir de voir un monde vivre (donc lieux mais lieux habités, qui évoluent ou au moins suivent un rythme) et d'y mener une "vie quotidienne" — jogging à Los Santos.
– Second Life : avancer comme dans un rêve incohérent, de zone en zone, d'ambiance en ambiance. Fantasmes de voyeurisme (entrer chez les gens). Lieux réels adaptés dans SL (Saarbrucken).
– This war of mine : paradoxe — des lieux qui me sont agréables, où j'ai envie de passer du temps, de pouvoir agir plus, qui me font me sentir bien, alors qu'ils sont objectivement des lieux de souffrance, d'angoisse. Même paradoxe avec Planescape Torment et son esthétique de la crasse, des débris, des cadavres — ces jeux et ces ambiances entrent en résonance avec des rêves récurrents chez moi, et dérangeants "objectivement", qu'ils soient angoissants ou non sur le moment.
– Fallout 1 & 2 : les lieux générés de façon aléatoire, lors des rencontres sur la map, laissent fantasmer un monde immense même si on ne le voit que par fragments. La 3D isométrique installe aussi une distance avec le monde du jeu, rend l'expérience plus "enfantine" (petits bonhommes qui bougent sur une représentation de l'espace, vue du dehors et du dessus, comme dans un jeu de plateau). Les lieux sont perçus, vécus différemment selon le type de graphismes utilisés.
– Je n'attends pas nécessairement, d'ailleurs, des lieux d'un jeu qu'ils m'offrent un espace ultra réaliste, mais qu'ils m'offrent un espace où agir (les lieux ne servent à rien si on ne peut rien y faire), et un espace compréhensible, qui ait son identité (même Wasteland 1 a ce charme là) et donc, sa beauté, fut-elle à gros pixels (enfance de CPC-iste).
– Fallout NV : souvenir puissant de mon premier trajet sans mourir jusqu'à New Vegas, en contournant les zones les plus dangereuses et en me frayant un chemin à coup de flingue avec un personnage de bas niveau. Longtemps après, redécouverte fascinée du jeu, par la lenteur — m'étant fixé comme contrainte de toujours marcher, ne jamais courir. La possibilité de se déplacer très vite évacue le "poids" des lieux et des distances, et favorise un rapport purement utilitaire aux lieux. On ne les "voit" plus.
– Daggerfall : fascination intellectuelle, abstraite, pour la taille démentielle de la map. Les lieux en eux-mêmes ne présentent aucun intérêt (on a vu une ville et un bout de campagne, et on a tout vu) mais le plaisir qu'ils procurent réside dans l'idée, pas dans l'expérience.
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