Pour débuter avec une citation d'un autre jeu, What Remains of Edith Finch :
The house was exactly like I remembered it. The way I'd been dreaming about it. As a child, the house made me uncomfortable in a way I couldn't put into words. Now, as a 17-year-old, I knew exactly what those words were. I was afraid of the house.
Il y a quelques années, Yann Leroux m'avait interviewé sur Skype, parmi d'autres personnes, dans le cadre d'une étude qu'il faisait sur le rôle, le poids les lieux dans les jeux vidéos, pour les joueurs (je n'ai jamais vu les résultats de cette étude et le regrette car le sujet est passionnant).
J'en avais parlé ici même :
https://l-idiot-mystique.blogspot.com/2015/10/quelques-reflexions-sur-le-poids-des.html
Je lui avais longuement, je crois, décris mes sentiments liés à Gone Home, qui est un jeu dont le scénario m'a laissé relativement indifférent mais dont l'exploration des lieux en eux-mêmes, pour eux-mêmes, m'avait, en revanche, tétanisé.
Les décors n'ont pourtant rien de très menaçant, et même si la pluie du début, la maison vide, les jeux d'ombres... conspirent à installer une ambiance de mystère, en aucun cas Gone Home n'essaie réellement de faire peur au joueur – mais il est vrai que généralement les jeux qui essaient de faire peur au joueur le font d'une manière tellement grossière, comme Alan Wake, que j'ai intensément détesté, que tout ce qui ne tombe pas dans ce travers-là sort de la catégorie "jeux flippants".
Je me souviens avoir dit (mais pourquoi ? dans quel cadre ?) à Leroux que mes souvenirs les plus marquants, les obsédants, ceux qui me hantent et ont façonné ma personnalité, étaient rarement des souvenirs "biographiques" c'est-à-dire lié à des événements – mais des souvenirs de perception.
Le jeu de la lumière à travers les volets, le matin, dans ce chalet des Vosges où nous passions habituellement nos vacances.
La lumière jaunâtre dans la cuisine, au petit matin, quand il faisait sombre, dans ce petit appartement où nous habitions quand ma soeur et moi étions encore enfants.
Le son étrange, vaguement angoissant, pour des raisons difficiles à formuler, de l'eau passant dans les canalisations, chez mes parents, quand je prenais un bain la nuit, seul à la maison.
La grisaille, la saleté, les portes de garages rouillées, à Nancy, quand j'y suis arrivé en voiture en 1998.
Et ainsi de suite.
En démarrant Gone Home, je me transforme en perception pure. Évidemment, le jeu a un scénario mais pour être honnête je n'ai jamais réussi à m'y intéresser ; non qu'il soit en lui-même inintéressant, mais me retrouver dans cette maison vide, la nuit, avec le bruit de l'orage au dehors et tout le temps que je veux pour y errer et examiner chaque pièce, chaque objet, sous tous les angles, exerce sur moi une fascination telle qu'aucune histoire ne pourrait vraiment m'intéresser.
Le jeu se déroule dans les années 90, ce qui n'arrange rien puisque c'est la décennie au cours de laquelle j'ai vécu mon adolescence, et les quelques références culturelles, musicales, vidéoludiques, etc, que proposent les lieux à explorer sont ceux de mon propre passé. Gone Home permet de (re)vivre une expérience que chacun fait, bien entendu, dans sa vie, mais ici accentuée par le fait qu'elle est au coeur du jeu : réaliser que l'on est incarné dans une époque, avec son mode de vie quotidien, son esthétique, ses objets, son architecture. Prendre conscience surtout de tout ce qu'il y a d'ineffable, d'intransmissible, et de si vite promis à l'oubli dans tout cela.
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