J'ai enfin achevé ma fiction interactive Astres Solitaires, qui m'a achevé en retour.
Il m'aura donc fallu plus de cinq ans de travail et de pénible introspection pour enrichir le premier jet que j'avais rendu public sous le titre de L'Observatoire, à l'occasion de la French comp 2016 organisée comme tous les ans par le site Fiction-interactive.
La quantité de contenu additionnel m'a paru justifier un changement de titre, afin que l'on comprenne qu'il ne s'agit pas que d'une simple version 2.0 : à titre de comparaison, un walkthrough d'Astres solitaires fait environ 16 000 mots contre 6000 mots pour la version de fin 2015.
*
Dans l'ensemble, si je devais faire un bilan de la création de cette fiction interactive et déterminer ce que je pense aujourd'hui du résultat, je dirais que c'est plutôt un échec. Son plus grand mérite est d'exister, et ce n'est pas rien, car amener une oeuvre à l'existence est toujours un accomplissement et une satisfaction. Mais aussi bien concernant l'histoire elle-même que la façon dont elle se développe au gré des actions du joueur, je ne suis pas satisfait.
Tout le côté sombre, mélancolique, pessimiste, pathétique, etc... du personnage et de son histoire m'est progressivement devenu insupportable et le fait de vouloir être débarrassé, purement et simplement débarrassé d'une telle concentration de négativité dans ma vie a joué un grand rôle dans mon empressement à terminer le jeu, au détriment de son amélioration.
J'avais prévu, ces derniers mois, d'implémenter encore du contenu supplémentaire et même d'introduire un quatrième personnage jouable (qui aurait été un ex-milicien, avec ses propres souvenirs, PNJ spécifiques, actions spécifiques, etc) mais j'ai renoncé par fatigue et par dégoût.
Le fait qu'une bonne partie des souvenirs du personnage et des PNJ qu'il rencontre, Paloma en premier lieu, soient plus qu'inspirée de ma propre vie, n'est évidemment pas étranger à ce malaise grandissant ; j'étais partagé entre la perplexité quant à l'intérêt de remuer un certain nombre de souvenirs qui n'avaient pas besoin de l'être, et un doute croissant sur l'intérêt que cette "fiction interactive autobiographique" pourrait bien présenter pour quelqu'un d'autre, pour un joueur lambda.
Paloma (dont le vrai prénom est Laura), les étudiants évoqués dans les souvenirs du personnage, et même l'essentiel des lieux (le boulevard, le parc, les casernes, le bistrot, la piscine, l'immeuble de Laetitia, alias Letizia, tous ces éléments du jeu sont inspirés d'un petit quartier de Nancy que j'ai pas mal fréquenté dans ma vie.
Il y a un côté consolatoire dans l'écriture (de fictions, interactives ou non), qui est de pouvoir "revoir" des gens ou des lieux qu'on ne verra plus jamais, ou de changer l'histoire. Ou de la revivre encore et encore. J'ai mis pas mal de mes rêves nocturnes dans le jeu, aussi – je les ai notés pendant vingt ans, et c'est une source inépuisable de personnages, de lieux, de situations.
*
Pure parenthèse : j'ai découvert à Nancy il y a peut-être deux ans un bistrot nommé "L'Étoile" à l'angle de l'avenue du Maréchal Juin et de la rue des Frères Voirin. Sachant qu'il se trouve exactement là où commence mon jeu, situé dans un double onirique de Nancy et même de ce quartier précis, et qu'il y est bien question de fin du monde provoquée par une étoile vivante, maléfique, lovecraftienne, j'ai trouvé la coïncidence plutôt savoureuse.
Un peu flippante aussi.
*
Tout ceci étant dit, indépendamment de ma réticence grandissante envers son contenu intime, mon plus grand regret concernant Astres Solitaires est de n'avoir pas réussi – mais c'est justement dû à l'histoire elle-même, qui est très contemplative – à implémenter plus d'actions concrètes, d'interactivité avec le monde environnant, les objets, les quelques PNJ. Ce qui peut donner l'impression, hélas en partie justifiée, qu'il ne s'agit que d'une grosse nouvelle où le seul choix qui s'offre, ou presque, est celui de l'ordre dans lequel on veut lire des kilomètres de narration et de lore.
Je dis "en partie" parce que le parcours du personnage dans la première partie du jeu est tout de même très libre, avec pas mal de variations possibles, et que dans la seconde, le dialogue avec Paloma peut se dérouler et se terminer de diverses manières.
Je crois à ce titre avoir permis vraiment au joueur de choisir quel type de personnage il veut jouer. Astres solitaires est un jeu de rôle au sens initial du terme.
Mais, oui, il est vrai que le système de liens à cliquer est moins satisfaisant, pour explorer un quartier et essayer d'en tirer tout ce qu'il est possible d'en tirer, que le bon vieux parser.
*
Ce qui m'amène à la conclusion suivante : non seulement le plaisir, mais le véritable objet d'une fiction interactive, c'est l'interactivité elle-même, pas la fiction. Il faut une histoire intéressante ; mais cela ne suffit pas.
Une phrase m'avait impressionné il y a quelques années, que je ne saurais plus citer exactement, mais qui disait que les bons jeux n'étaient pas au sujet de choses, mais de personnes. C'est vrai en partie : il est plus intéressant de jouer à une I.F qui offre des interactions avec des PNJ un minimum différenciés, que de passer toute sa partie à résoudre des puzzles mécaniques et des énigmes à la Myst. Du moins pour la plupart des gens.
Mais une bonne histoire, une bonne écriture, de bons personnages, encore une fois, ne suffisent pas non plus. Ils peuvent même parasiter le jeu et son attrait fondamental : le fait de pouvoir accomplir des actions, de tester des choses, et de se voir offrir des réponses intéressantes par le jeu.
Il m'a fallu écrire un quasi roman, partiellement interactif, pour m'en rendre compte.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire