"La Libération est une fiction écrite avec Texture, traitant de mort et de trahison.
Une courte FI à la manière d’une nouvelle fantastique et psychologique
Tout ce qui suit est un vaste spoiler ;-)
Stéphane F. indique explicitement que La Libération a été écrite dans le cadre d’une jam et cela a sans doute joué sur le degré de peaufinage de l’oeuvre. Pour autant, la cohérence de cette FI ne fait pas défaut et sa durée – plutôt courte, mais ce n’est pas un problème – condense assez bien tout ce que l’on peut souhaiter explorer.
Concrètement, la trame peut se diviser en deux : une première partie où le personnage, Goran, est enfermé dans sa chambre, réfléchissant à une demande de trahison qui émane des services impériaux et une seconde partie qui se déroule dehors, lorsque le joueur a succombé à cette volonté de trahir… et profite de quelques instants de liberté avant une mort programmée.
Une première phase en huis-clos, donc, où sont remémorés des souvenirs douloureux, mais qui éclairent sur notre passé et ce qui nous amène ici. Les informations sont peu nombreuses (courte oeuvre oblige) mais suffisantes pour comprendre les enjeux.
Puis vient une exploration cette fois géographique, courte car bornée par cette mort qui frappera à coup sûr et rapidement. Les quelques instants à l’air libre offrent cependant des détails supplémentaires sur Goran et le monde dans lequel il évolue.
On retrouve évidemment la prose, le style et le souci du détail architectural et sensoriel propres à Stéphane F., où le poisseux de la ruelle sombre est toujours en embuscade. C’est donc un plaisir.
Sans doute, même, le caractère très ramassé de l’oeuvre offre un champ libre pour l’imagination de ce monde que l’on est contraint de quitter trop rapidement. C’est très agréable, dans la mesure où je préfère en FI les courtes proses plutôt ouvertes.
Globalement, ce type d’histoire me fait penser au fantastique un peu psychologique du XIXème, surtout que l’esthétique de l’auteur renvoie au moins en partie à cette période.
Texture comme moteur d’immersion et de responsabilisation du joueur
Texture m’a souvent attiré comme moteur de fiction interactive, d’un point de vue joueur : je n’ai pas expérimenté l’écriture avec celui-ci, je ne saurais pas dire si c’est confortable.
Plusieurs éléments m’intéressaient :
la disponibilité immédiate des verbes
la presqu’absence de marquage de la prose : sauf lorsqu’un verbe est choisi
l’action de cliquer-déplacer, que je trouve plus engageant pour le joueur que le simple clic
Tout ces éléments me semblaient offrir une certaine immersion et ne pas trop bloquer le joueur. Un bon compromis entre parser et hypertexte, finalement.
L’usage du moteur dans La Libération est plaisante. Les verbes sont assez variés et donnent ce sentiment d’action et de responsabilité du joueur.
Je pense notamment à la séquence de dénonciation, où le seul verbe proposé est « trahir ». Ce genre d’action, qu’elle soit frapée sur un clavier ou manipulée comme dans le cas de Texture, provoque à mon sens un réel sentiment d’immersion et évite au joueur de parcourir au hasard et sans penser à son personnage.
On aurait même pu pousser l’idée plus loin, en proposant à la place de trahir la liste des noms des personnes comme choix. Le joueur dénoncerait vraiment lui-même ses anciens camarades.
Dans la même idée, l’écriture de la lettre – un passage qui révèle l’intérêt d’un système comme Texture ou les contenus sont explicitement disponibles mais pas déjà dans la prose – permet d’imaginer une interaction plus poussée où les tournures seraient choisies par le joueur, là-encore pour une grande immersion.
C’est au final une fiction bienvenue car laissant de nombreuses portes ouvertes tout en étant précise et déterminée dans sa direction. L’usage de Texture est vraiment approprié en ce qui concerne l’implication du joueur et laisse même entrevoir des possibilités d’approfondissement (peut-être dans le cadre d’une réédition, maintenant la jam passée ?) dans l’incarnation de Goran et de sa conscience tourmentée..."
https://mbouc.gitlab.io/blog/test/2019/08/25/La-Libération-par-Stéphane-F.html