J'ai commencé à noter mes rêves, aussi systématiquement que possible, en 1998, quand j'ai quitté ma famille pour aller étudier dans la "grande ville".
J'accordais déjà une certaine importance à la chose, depuis l'adolescence et même l'enfance ; sans doute comme tout le monde, j'avais gardé un souvenir très vif de rêves parfois extrêmement anciens, qui au même titre que certains souvenirs de la vie réputée réelle, avaient fini par intégrer mon paysage mental. Je me souviens aussi, au lycée, d'après-midi où je restais couché au lit, sur de la musique, essayant de trouver ce point précis de la somnolence où des images précises, réalistes, troublantes, naissent dans l'esprit, sans que l'on soit réellement endormi.
J'avais décidé, pendant les vacances, d'entamer un journal intime. La perspective de devenir étudiant, de me retrouver seul dans une grande ville, de changer presque entièrement d'entourage et de mode de vie, m'avait fait ressentir la nécessité d'entamer de nouvelles choses, d'aborder la vie d'une manière nouvelle et plus réfléchie – notamment de cette manière. Dès les premières semaines, j'avais commencé à noter des rêves, par-ci par-là. Leur caractère souvent dérangeant m'avait étonné mais aussi intrigué et quelque peu excité – intellectuellement mais aussi artistiquement.
Peu à peu, l'intérêt nouveau que j'avais trouvé à la chose m'a convaincu d'entamer un journal à part, entièrement dédié à ma vie nocturne. J'utilisais un cahier à spirale et à gros carreaux, dans lequel je me sentais obligé de faire des croquis, des plans, des portraits de choses et de personnes vues en rêve, comme s'il était nécessaire de transformer cette simple habitude en une démarche artistique ou mystique à la C.G Jung avec son fameux livre rouge.
Mais quel autre prétexte prendre, et comment se lancer dans ce genre d'entreprise sans en avoir un, ne serait-ce que "trouver des idées à exploiter de quelque manière que ce soit ensuite" ? Le seul argument gnothi seauton ne suffit pas ; noter ses rêves, et qui plus est pendant des années, est une entreprise en réalité hautement inutile au mieux, mentalement toxique plus vraisemblablement, spirituellement aussi d'ailleurs (Saint-Paul condamne ceux qui "donnent trop d'importance aux choses qu'ils voient en rêve") et socialement consternante car l'obsession que cela devient transparaît dans la vie quotidienne et les conversations ; combien de fois me suis-je retrouvé à raconter mes rêves de la nuit à des gens qui ne m'avaient rien demandé...
C'est un hobby addictif, également. Il m'est arrivé un certain nombre de fois de passer des après-midi à siester, dans l'espoir d'avoir quelque chose d'intéressant à noter à mon réveil ; j'ai quelques souvenirs comme ça, spécialement déprimants, d'après-midi obscures d'automne, de réveils pâteux et désagréables à la tombée de la nuit. Mais l'addiction est bien là, et d'autant plus forte qu'il est fréquent, lorsque l'on couche sur le papier un rêve que l'on vient de faire, de se retrouver submergé d'autres rêves, jusque là oubliés, et dont on a l'impression qu'on ne dispose que de quelques secondes pour les noter avant qu'ils disparaissent à nouveau, pour toujours ou non – et l'on se demande, dans ces moments-là, dans quelle zone du cerveau ces rêves sont stockés, et quel poids insoupçonné ils ont sur notre psyché, dans l'hypothèse où réellement l'esprit ne les oublie jamais vraiment.
Écrire à la main dans un bon vieux cahier a toujours eu, et a encore pour moi, même si je ne le pratique plus beaucoup, un aspect très attirant, pour le côté forcément unique, et très personnel de l'objet que l'on se crée peu à peu. Mais comme tout le monde, par soucis d'efficacité et de gain de temps, j'ai fini par passer au PC. C'est alors que j'ai noté mes rêves non pas dans le bloc-note ou sur un quelconque document personnel, mais sur un blog public, que j'ai d'emblée voulu collectif. Avec mon amie de l'époque et quelques amis, j'ai donc ouvert Le Sonde-Ténèbres puis plus tard, avec un effectif plus réduit, l'incroyablement originalement nommé Journal des Rêves.
J'ai continué, bon an mal an, au fil du temps, jusqu'à aujourd'hui – ou pour être précis, jusqu'à fin 2018, considérant que vingt ans étaient suffisants, qu'ils fallait passer à autre chose, accorder moins d'attention à cette partie de ma vie – et tant pis pour gnothi seauton.
Ceci étant, mes récits de rêves m'ont servi à tout : idées de scénarios pour des nouvelles, pour des F.I, pour de la musique, pour apporter certains changements à ma vie réelle et diurne... Le résultat n'a jamais été très satisfaisant, pour être honnête, à tel point que j'ai à peu près arrêté d'essayer d'en faire quelque chose – sans pouvoir arrêter de les noter pour autant. L'intérêt réel de la démarche m'a toujours échappé et m'échappe encore, je sens qu'il existe, qu'il est formulable, je l'ai sur le bout des lèvres et pourtant...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire