Pathologic me hante décidément avec ses herbes hautes et maladives, sa brume automnale qu'on devine chargée de la fumée des cheminées et de remugles divers, industriels, animaux ou autres, et avec ses maisons de brique rouge, typiques de la fin du XIXème siècle, qui sont le décor dans lequel j'ai grandi.
La ville où j'ai grandi est marquée par l'industrie du XIXème siècle, avec ses mines toutes proches et ses barons de la sidérurgie (de Wendel) ou de la faïence (de Geiger), ainsi que par la présence allemande d'après la guerre de 1870. Des rues, des quartiers entiers ont été construits par les prussiens, avec leurs interminables murs de brique rouge, de plus en plus lépreux et mangés par la végétation depuis mon enfance, car laissés à l'abandon. En réalité ils sont même détruits de plus en plus souvent, pour être remplacés par de superbes cubes gris pâles, probablement écoresponsables, et tout cela me contraint à sortir de moins en moins, et à me réfugier dans mes albums photos, mes souvenirs, ou dans des jeux vidéos qui bien involontairement me fournissent une hallucination satisfaisante.
Cette ambiance de décrépitude me fascinait déjà, adolescent, et je n'étais pas le seul. Il y avait à l'époque plusieurs maisons abandonnées dans ma ville, et même une piscine désaffectée. Nous allions y traîner, les après-midi d'été, y fumer nos premières cigarettes et y boire nos premières bières. J'aimais l'ambiance des vestiaires abandonnés, les coins où se cacher, la crasse, le verre brisé au sol. Je me souviens d'une partie de L'Appel de Cthulhu organisée avec deux amis, dans les sous-sol de la piscine. On était mort de trouille sans oser se l'avouer.
Les maisons dans ce jeu me font invariablement penser à cette maison de maître abandonnée dont j'ai déjà parlé ici et que nous appelions "la SESA" (du nom de l'usine juste à côté à laquelle elle appartenait). Elle était seule au milieu d'un parc en friche, véritable jungle, qui faisait partie d'un quartier de casernes et d'usines construit par les allemands après la guerre de 1870 ; c'était là également que se trouvait mon collège. Nous y traînions de temps à autres, avec ma bande d'ado-clochards, mais j'y entrais moins souvent que mes camarades. La maison me terrifiait. Passant devant, la nuit, j'étais tout simplement incapable de la regarder. Elle dégageait quelque chose d'authentiquement mauvais, qui continue, 25 ans après, à me poursuivre régulièrement dans mes rêves.
Marcher dans Pathologic c'est comme marcher dans une ville entièrement faite de "SESA". Je ne le perçois en rien comme un "jeu vidéo". C'est un dispositif technique qui me permet de marcher dans mes propres fantasmes, sans avoir à fournir un quelconque effort d'imagination, mais au contraire, en pouvant m'abandonner complètement à la pure fascination qu'exercent ces décors totalement personnels, totalement intimes. Marcher (enfin...) dans un univers qui n'est que répétition des mêmes choses mortes, vides de sens et de tout avenir. Ça n'est ni le monde, ni l'après-fin du monde, ni la vie, ni la mort, ni l'au-delà de la mort. Je ne sais pas encore comment appeler ça.
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