mercredi 8 juin 2011

Un jeu vidéo comme un autre

Un ami qui me disait il y a un an ou deux, en parlant de la misère absolue du musicien de home studio, seul devant son PC avec ses synthés virtuels, et pour qui "exister" se limiterait souvent à avoir un compte MySpace ou SoundCloud :

"Faire de la musique est devenu un jeu vidéo comme un autre".

C'est vrai, nous passons nos vies devant nos PC, dans la solitude, et dans un processus de composition d'une froideur effrayante. Où sont les répètes d'antan ?

Ceci étant, avec la démocratisation des ordinateurs, des logiciels de MAO, de la diffusion de sa musique, etc, la figure de l'Artiste, avec un grand A, disparaît peu à peu – si tout le monde est artiste, alors (à part quelques vrais très grands incontestables) personne ne l'est. Mais alors que sommes-nous ?

Peut-être qu'effectivement, composer, aujourd'hui, n'est pas très différent d'une balade dans Second Life – il s'agit de s'évader (pour dire vite) et de vivre une expérience (unique) à travers un outil (que tout le monde possède), et d'en garder une trace – screenshot ou enregistrement sonore, qu'importe ?

Et pourquoi pas un synthé dans l'appartement du héros du prochain GTA, permettant de jouer réellement, et de s'enregistrer ?

Pourquoi pas un jeu où l'on incarnerait un peintre (on est bien écrivain dans Alan Wake), qui, entre deux aventures, entre deux étapes du scénario, pourrait réellement produire des toiles dans, avec une sorte d'Illustrator intégré ?

Ici la métafiction ne consisterait pas à inventer des fan-stories se déroulant dans un monde fictif donné ; c'est la nouvelle œuvre qui prendrait place dans la fiction première même. Et qui bénéficierait de tout ce contexte entourant sa création.

Au lieu d'être de faux artistes et vrais geeks solitaires devant nos machines, essayant désespérément de faire connaître notre production, et par là, usurpant un statut d'artiste qui n'a plus de sens, peut-être devrions assumer de disparaître entièrement, de simplement prendre place dans de multiples fictions, d'en devenir nous-mêmes, de l'assumer et d'en tirer profit.

mardi 31 mai 2011

Les gamers rêvent-ils de pin ups électriques ?

"Ce qui a toujours manqué dans le jeu vidéo, c’est la dimension humaine. C’est-à-dire, tous ces personnages auxquels vous vous sentez reliés, pour lesquels vous éprouvez quelque chose, que vous haïssez ou dont vous tombez amoureux."

Brendan McNamara, réalisateur de L.A Noire.

Oui, c'est affreusement vrai. Souvent, dans les jeux on s'attache à des lieux particuliers, à une ambiance, à un "monde" ; mais rarement, pour ne pas dire jamais, à des personnages non joueurs. Et pourtant, ce serait tellement bien de pouvoir tomber amoureux d'un PNJ.

Pas d'un pauvre petit paquet de lignes de code aussi primitif que Denise Robinson dans GTA, non, des vrais PNJ dignes de ce nom, des personnages, avec leur caractère, leur autonomie, avec leur imprévisibilité, avec leur marge de manœuvre et un catalogue d'actions et de réactions, d'initiatives, suffisant pour qu'on y croie – que l'on y croie juste assez pour se souvenir qu'il s'agit d'une fiction, tout en se laissant aller à s'y attacher. Et à projeter nos fantasmes sur eux.

Le phénomène d'identification, qui permet la catharsis, ou encore la cristallisation d'un certain esprit du temps, de certains discours, dans des personnages élevés au rang de mythes, bref, tout ce qui dans la littérature contamine la réalité intime et collective – encore que je n'aime pas forcément ce verbe contaminer, qui sonne un peu PsyOps, disons plutôt, car c'est encore plus juste, tout ce qui dans la littérature informe la réalité et devient un domaine de la réalité, tout cela le jeu vidéo doit se l'approprier aussi.

Oui, le jeu vidéo doit nous proposer des histoires, ou en tous cas, des cadres narratifs – lieux, personnages, problématiques, ambiance, esthétique, catalogue d'actions et de situations possibles – où des histoires doivent pouvoir surgir. Car il n'y a pas de vie sans récits.

*

Il n'y a pas d'existence non plus, d'ailleurs, sans vie quotidienne – qui est n'est pas, elle-même hors-récit (elle en est un à sa manière, un récit low-intensity) mais s'y inscrit, comme des moments en creux, nécessaires, et comme un cadre elle-même. Et n'est-ce pas justement Rockstar, l'éditeur de L.A Noire, qui avec la série des GTA, a introduit la notion de vie quotidienne dans le jeu vidéo ?

Un simple tour sur YouTube le montre : les fans des Grand Theft Auto, pour développer sur cet exemple précis, au-delà des missions proposées et de la storyline même du jeu, se construisent leur vie privée, quotidienne, dans l'espace (géographique et d'action) qui leur est proposé. Visiter la ville dans ses moindres recoins, défier la police, faire les plus belles cascades, prendre des photos des scènes auxquelles on assiste – accidents de la route, fusillades entre gangs rivaux, conversations entre passants – chacun peut selon son tempérament et ses lubies, trouver de quoi s'occuper dans la vaste Sandbox qu'est – pas uniquement, mais aussi – le jeu.

À titre personnel, il m'arrive plus souvent, plutôt que de remplir les missions le plus vite possible, de lancer San Andreas pour faire un petit jogging paisible au crépuscule, dans les rues de Los Santos, afin d'améliorer jour après jour mon endurance et ma musculature – et ensuite, me balade, prendre quelques photos, danser à l'Alhambra, ou jouer aux excellentes bornes d'arcades qu'on trouve un peu partout dans le jeu.

Une vie quotidienne répétitive, lente, simple ; de celles qui laissent des souvenirs, de vrais souvenirs, réels et personnels, au joueur. Minecraft, dans un autre genre, ne propose pas autre chose.


Et je pense que c'est là le charme principal de GTA : on rentre du travail dans sa vraie vie, on vaque à ses occupations, et à un moment de sa soirée, on consacre une heure à faire son jogging dans une copie de Los Angeles, ou à bomber en Porsche sur la plage de Vice City, au crépuscule, avec Tears for Fears à la radio. Avec de temps à autres, choisies ou imposées, des épreuves qui marquent des évolutions dans le destin du personnage que l'on est – en société, comme dans l'écran. Le jeu vidéo comme une extension et un domaine de la vie quotidienne, et de la vie tout court.

Do gamers dream of electric pin-ups?

"What has always been missing in video games is the human dimension. That is, all those characters that you feel connected to, that you feel something for, that you hate or that you fall in love with."

Brendan McNamara, director of L.A Noire.

Yes, that's awfully true. Often in games we get attached to particular locations, an atmosphere, a "world"; but rarely, if ever, to non-player characters. And yet, it would be so nice to be able to fall in love with an NPC.

Not some poor little bundle of code as primitive as Denise Robinson in GTA, no, real NPCs worthy of the name, characters, with character, with autonomy, with unpredictability, with room to maneuver and a catalog of actions and reactions, initiatives, sufficient to make us believe in them – believe in them just enough to remember that this is fiction, while allowing ourselves to become attached to them. And to project our fantasies on them.

The phenomenon of identification, which allows catharsis, or the crystallization of a certain spirit of the times, of certain discourses, in characters raised to the rank of myths, in short, everything that in literature contaminates intimate and collective reality – although I don't necessarily like this verb contaminate, which sounds a bit PsyOps, let's say rather, because it's even more accurate, everything that in literature informs reality and becomes a domain of reality, all that the video game must appropriate too.

Yes, video games must offer us stories, or at least narrative frameworks – places, characters, problems, atmosphere, aesthetics, catalog of possible actions and situations – where stories must be able to emerge. Because there is no life without stories.

*

There is no existence either, by the way, without daily life – which is not, in itself, outside of the narrative (it is one in its own way, a low-intensity narrative) but is inscribed in it, as hollow moments, necessary, and as a framework itself. And isn't it precisely Rockstar, the publisher of L.A. Noire, who with the GTA series, introduced the notion of everyday life in video games?

A simple tour on YouTube shows it: the fans of Grand Theft Auto, to develop on this precise example, beyond the proposed missions and the storyline of the game itself, build their private life, daily, in the space (geographical and action) which is proposed to them. Visiting the city in all its corners, challenging the police, doing the most beautiful stunts, taking pictures of the scenes you witness – traffic accidents, shootings between rival gangs, conversations between passers-by – each one can, according to his temperament and his whims, find something to occupy himself in the vast Sandbox that is – not only, but also – the game.

Personally, I more often than not, rather than completing missions as fast as possible, launch San Andreas to go for a peaceful jog at dusk, in the streets of Los Santos, in order to improve my stamina and my musculature day after day – and then, walk around, take some pictures, dance at the Alhambra, or play the excellent arcade terminals that can be found everywhere in the game.

A repetitive, slow, simple daily life; the kind that leaves memories, real and personal memories, to the player. Minecraft, in another genre, doesn't offer anything else.


And I think that's the main charm of GTA: you come home from work in your real life, you go about your business, and at some point in your evening, you spend an hour jogging in a copy of Los Angeles, or driving a Porsche on the beach in Vice City, at dusk, with Tears for Fears on the radio. With, from time to time, chosen or imposed, trials that mark the evolution of the character's destiny – in society, as in the screen. The video game as an extension and a domain of daily life, and of life itself.

dimanche 8 mai 2011

Housewives who love Second Life

Virtual worlds are much more real than one – and especially their detractors, who for satanic reasons would like to sequester us in everyday material reality, and would forbid even novels if they could still historically afford to do so – usually claims; they are immaterial universes.

Because they are existential frameworks, because we act in them and are acted upon, virtual worlds and video games arouse emotions and reactions that are quite real (so much so that video games are used in certain psychotherapies), and leave memories in the same way as an event in the material world, or a landscape, or a "real" person.

In a way, there's a part of me that "really" lives in Vice City and Los Santos – as in the now-defunct German residential areas of Second Life, where I used to wander around at night, entering residents' homes while they were away to take photos like a thief, or in the infinite space of Minecraft – since I have memories there, both visual and emotional, and even a future if I so wish.

Often, rather than completing the missions of a GTA San Andreas as quickly as possible, I'll launch the game and go for a leisurely jog at dusk, to build up my stamina – and then go for a walk, take a few photos, dance with Denise Robinson, or play the excellent 8-bit arcade machines found throughout the game.

A repetitive, slow, simple daily life; the kind that leaves the player with memories, real, personal memories.

You come home from work in your real life, go about your business, have dinner, and at some point in the evening, spend an hour jogging, or driving fast along the beach in a Porsche at dusk, with Tears for Fears on the radio.

Or to consolidate your fortress.

Video games as part and parcel of everyday life, and of life itself

Obviously, my life in video games is an extremely limited part of my existence, restricted to the few possibilities offered by the game. But when you think about it, what makes it so much more limited than the "part of me" that goes shopping at the supermarket after work? These utilitarian moments, always the same, segmented, are nevertheless considered real. And God knows there are a lot of them in the course of a day.

The set of gestures I can perform in a GTA, for example, is even wider and more varied than the one I'm entitled to when I'm shopping – in the absolute, of course, I could start singing at the top of my lungs in the cheese department, provoke a brawl or organize a poetic happening between the rows of packs of beer, but I don't, and nobody does, to avoid the Matrix's immediate reaction, which consists of a security guard politely kicking you out.

The sum of the moments in our lives when we are content with a restricted catalog of behaviors, because all the others are not part of the program, is immeasurable.

So, considering that what is experienced in the game is perceived as "at least relatively" real by the mind, and that material life offers few behavioral possibilities to everyone, the use of video games as a means of relaxation, compensation, catharsis and even knowledge of the world, like the novel, is unassailable, and historically ineluctable and irreversible.

I'm really saying "like the novel".

Who can deny the historical impact of the novel, born of the emergence of the individual, and by feedback, contributing to individuation, reinforcing it, and giving, by its unique qualities of analysis of what is the world and man, by its ability to arouse identification and even bovarysm, by its capacity to create myths, to "lie true", to prospect the future and invent it?

There isn't a phenomenon of the twentieth century that hasn't been heralded by literature. From Julien Sorel to Tyler Durden, from the heroes of the Boy Scout novels enjoyed by the prepubescent fascist Brasillach, fictional characters, fiction, and the very logic of the novel have mentally shaped several generations of Westerners.

What will be the fate of video games in this field? What role will it play in people's psyches, representations and ideals, after novels and television?

Who will decide to quit their job and join an ideological or criminal battle, no longer to imitate a paper hero, but their own video-game avatar, thus bringing together and reunifying their different "selves"?

Who is to judge the Second Life housewife who leaves everything behind one morning to join the BDSM "Master" she met there?

She's just the descendant of the man who joined the PCF after reading Aragon's Les Communistes, and the hordes of clones of the Loft-Story generation.

Ménagères fan de Second Life

Les univers virtuels sont beaucoup plus réels qu’on – et surtout leurs détracteurs, qui pour de sataniques raisons voudraient nous séquestrer dans la réalité matérielle quotidienne, et interdiraient jusqu’aux romans s’ils pouvaient encore historiquement se le permettre – ne le prétend ; ce sont des univers immatériels.

Parce qu’ils sont des cadres existentiels, parce qu’on y agit et qu’on y est agi, les mondes virtuels et les jeux vidéos suscitent des émotions, des réactions, tout à fait réelles (à tel point que les jeux vidéos sont utilisés dans certaines psychothérapies), et laissent dans la mémoire des souvenirs au même titre qu’un événement du monde matériel, qu’un paysage, qu’une personne "réelle".

D’une certaine manière il y a une partie de moi qui vit "réellement" à Vice City et à Los Santos – comme dans les zones résidentielles allemandes aujourd’hui disparues de Second Life, où j’errais la nuit, entrant chez les résidents pendant leur absence pour prendre des photos comme un voleur, ou encore dans l’espace infini de Minecraft – puisque j’y ai des souvenirs, visuels et émotifs, et même un avenir si je le souhaite.

Il m’arrive souvent, plutôt que de remplir les missions d’un GTA San Andreas le plus vite possible, de lancer le jeu pour me faire un petit jogging paisible au crépuscule, afin d’améliorer mon endurance – et ensuite, me balader, prendre quelques photos, danser avec Denise Robinson, ou jouer aux excellentes bornes d’arcades 8 bits qu’on trouve un peu partout dans le jeu.

Une vie quotidienne répétitive, lente, simple ; de celles qui laissent des souvenirs, de vrais souvenirs, réels et personnels, au joueur.

On rentre du travail dans sa vraie vie, on vaque à ses occupations, on dîne, et à un moment de sa soirée, on consacre une heure à faire son jogging, ou à bomber en Porsche sur la plage au crépuscule, avec Tears for Fears à la radio.

Ou à consolider sa forteresse.

Le jeu vidéo comme partie et extension de la vie quotidienne, et de la vie tout court

Évidemment, ma vie dans les jeux vidéos est une part de mon existence qui est extrêmement limitée, limitée aux quelques possibilités que propose le jeu. Mais à y réfléchir, en quoi est-ce tellement plus limité que la "partie de moi" qui va faire ses courses au supermarché après le travail ? Ces moments-là, utilitaires, toujours identiques, segmentés, sont pourtant réputés réels. Et Dieu sait qu’ils sont nombreux dans une journée.

L’ensemble des gestes que je peux accomplir dans un GTA, par exemple, est même certainement plus vaste et plus varié que celui auquel j’ai droit lorsque je fais mes courses – dans l’absolu, bien sûr, je pourrais me mettre à chanter à tue-tête au rayon fromages, provoquer une bagarre ou organiser un happening poétique entre les rangées de packs de bière, mais je ne le fais pas, et personne ne le fait, pour éviter la réaction immédiate de la Matrice, qui consiste en un vigile africain vous foutant poliment à la porte.

La somme des moments de nos vies où nous nous contentons d’un catalogue restreint de comportements, parce tous les autres ne font pas partie du programme, est incommensurable.

Dès lors, considérant que ce qui est vécu dans le jeu est perçu comme "au moins relativement" réel par l’esprit, et que la vie matérielle n’offre que peu de possibilités comportementales à chacun, l’utilisation des jeux vidéos comme moyen de délassement, de compensation, de catharsis et même de connaissance du monde, à l’instar du roman, cet usage est inattaquable, et historiquement inéluctable et irréversible.

Je dis bien "à l’instar du roman".

Qui peut nier l’impact historique qu’a eu le roman, né de l’apparition de l’individu, et par feedback, contribuant à l’individuation, la renforçant, et donnant, par ses qualités uniques d’analyse de ce qu’est le monde et l’homme, par sa capacité à susciter l’identification et même le bovarysme, par sa capacité à créer des mythes, à "mentir vrai", à prospecter l’avenir et à l’inventer ?

Il n’est pas un phénomène du XXème siècle qui n’ait été annoncé par la littérature. Et aucun des acteurs de ce siècle qui n’ait été influencé par elle – de Julien Sorel à Tyler Durden en passant par les héros des romans de boy-scout dont se délectait Brasillach le fasciste prépubère, les personnages de fiction, la fiction, et la logique même du roman a formaté mentalement plusieurs générations d’Occidentaux.

Quel sera le destin du jeu vidéo, dans ce domaine ? Quelle part prendra-t-il dans la vie psychique des gens, dans les représentations, les idéaux, après le roman et la télévision ?

Qui décidera de quitter son travail et de s’engager dans tel combat idéologique ou criminel, non plus pour imiter tel héros de papier, mais son propre avatar vidéo-ludique, faisant ainsi se rejoindre et se réunifier ses différents "moi" ?

Qui est apte à juger la ménagère fan de Second Life qui quitte tout un beau matin pour aller rejoindre le "Maître" BDSM qu’elle y a rencontré ?

Elle n’est que la descendante de celui qui a rejoint le PCF après avoir lu Les Communistes, et les hordes de clones de la génération Loft.

mardi 12 avril 2011

Through hard struggle





It's very hard to describe for someone who doesn't play, the feeling of flying over such landscapes.



Sure, they're primitive, but in the way that folk motifs on embroidery can be – a simplicity that's in no way mediocre or limiting, but rather approaches purity – indeed, more realistic texture packs, for Minecraft, break the game's charm. It has to have those pure, geometric graphics, with something naïve, almost childlike, which obviously also recalls the video games of my childhood, where I'd play for hours on end, dreaming of a world beyond the landscapes on offer; except that today, that fantasy has come true; dreams of virtual worlds and infinite freedom have been realized.





It's hard to explain just how real all this is – much more real than so many of the places we frequent, so many of the acts and gestures we perform in real life, on a daily basis, in automatic mode, without the slightest attention, without the slightest thought, without the slightest impression of being alive and real ourselves.



That emotion when you fly over a territory that may be virtual, but has a life of its own – its geography, its weather, its animals that live, reproduce and die, its vegetation that grows. When you know that you're only a tiny, vulnerable part of it, but that little by little, as you explore, as you build shelters on the hillsides or on the plains, as you erect tall, lighted columns to help you find your way at night, little by little you make this territory your own, you get to know it, you memorize its topography, you inscribe your presence on it, and from a strange, inhospitable land, you make it your home and your garden.



I fly over the land that has been given to us, so tirelessly, on both sides, I lay torches so that the night no longer belongs entirely to the monsters, I erect columns, shelters, I link the lands by footbridges, and this creation where I have been thrown, I become its co-creator and owner, through hard struggle. Territorial civil servant by day – topographer and civilizer by night.

De haute lutte





C'est très dur à décrire pour quelqu'un qui ne joue pas, cette sensation quand on survole de tels paysages.



Certes ils sont primitifs, mais comme peuvent l'être des motifs folkloriques sur des broderies – une simplicité qui n'a rien de médiocre ou de limitatif, qui s'approcherait plutôt de l'épure – d'ailleurs les packs de textures plus réalistes, pour Minecraft, cassent le charme du jeu. Il doit avoir ces graphismes purs et géométriques, avec quelque chose de naïf, de presque enfantin, qui rappelle évidemment aussi les jeux vidéos de mon enfance où j'évoluais des heures durant, rêvant d'un au-delà des paysages proposés ; à ceci près qu'aujourd'hui ce fantasme est réalisé ; les rêves de mondes virtuels et de liberté infinis sont réalisés.





Difficile d'expliquer à quel point tout cela est réel – bien plus réel que tant de lieux que l'on fréquente, tant d'actes et de gestes que l'on effectue dans la vraie vie, quotidiennement, en mode automatique, sans la moindre attention, sans la moindre pensée, sans la moindre impression d'être soi-même vivant et réel.



Cette émotion, quand on survole un territoire certes virtuel mais qui a son existence propre – sa géographie, sa météo, ses animaux qui vivent, se reproduisent et meurent, sa végétation qui se développe. Quand on sait qu'on en est qu'un élément, minuscule, vulnérable, mais que petit à petit, au fur et à mesure que l'on explore, que l'on construit des refuges à flanc de colline ou dans les plaines, que l'on pose de hautes colonnes éclairées, pour se repérer la nuit, peu à peu donc on le fait sien, ce territoire, on apprend à le connaître, on mémorise sa topographie, on y inscrit sa présence et d'une terre étrange, inhospitalière, on en fait une patrie et un jardin.



Je survole la terre qui nous a été donnée, donc, inlassablement, de part et d'autre, j'y pose des torches pour que la nuit n'appartienne plus entièrement aux monstres, j'y élève des colonnes, des refuges, je relie les terres par des passerelles, et cette création où j'ai été jeté, j'en deviens le co-créateur et le propriétaire, de haute lutte. Fonctionnaire territorial le jour – topographe et civilisateur la nuit.

vendredi 11 mars 2011

Minecraft, encore et toujours

Minecraft a plus de 5 millions de joueurs ayant acheté la licence. Ce qui signifie quelques dizaines de millions de mondes potentiels, en mode solo. Et tous les mondes multi-joueurs hébergés sur le net.

En un peu plus d'un an, ce jeu est devenu impossible à explorer exhaustivement. Personne sur terre ne pourra jamais visionner un panorama complet des constructions de tous les joueurs de ce jeu. C'est devenu un univers dans l'univers. Un infini dans l'infini. Ceux que cette pensée ne trouble pas, sont des animaux.

Second Life est mort, discrédité, de toutes façons dès sa naissance ou presque, étouffé par le consumérisme qui y règne, par sa laideur aussi – comme quoi le photoréalisme n'est pas une garantie d'esthétisme – mais surtout par le fait que tout enjeu en est absent. Tout enjeu, tout effort, tout danger, toute problématique.

Je l'avais déjà écrit il y a presque un an : 

"Second Life n'a rien d'un jeu ni aucune des caractéristiques qui font du jeu quelque chose de fondamental. Il ne s'y passe rien de particulier et on y est "libre" ; sauf qu'on est libre uniquement de ne rien faire de fondamental. Et qu'il ne s'y passe rien est la pire option imaginable : dans la vraie vie, il y a des épreuves à traverser, qui tombent du ciel ; il se passe des choses auxquelles on ne peut rien. Les choix sont limités. Et les jeux, qui reflètent ces épreuves à passer, permettent de s'y préparer, ou de sublimer, ou de se libérer. Second Life n'est pas un jeu, c'est même l'anti-jeu par excellence ; et ça n'est pas la vie, même seconde, ou même virtuelle ; ça n'est pas la vie, c'est son contraire."

Minecraft, par contre, c'est la vie – avec sa solitude fondamentale, l'indifférence de la nature, l'absurdité des difficultés et de l'adversité qui s'abattent sur nous – mais aussi, la possibilité de se construire quelque chose, pour soi. La possibilité de trouver un sens quand même.

J'ai souvent rêvé d'un espace virtuel où retrouver des amis et y bâtir un petit coin "à nous". C'est chose faite. C'est maintenant une chose possible. Mais alors que j'utilisais autrefois le verbe "bâtir" sans en peser les implications, Minecraft est allé plus loin : tout ce que vous voulez y avoir, vous devrez le gagner à la sueur de votre front (ou de votre index, plutôt) – mais la satisfaction est encore plus grande. L'impression d'y être. L'envie de le faire perdurer.

Quelque chose se joue dans Minecraft – quelque chose de lié à ce qu'il y a de fondamental dans la vie.

Minecraft, again and again

Minecraft has over 5 million players who have purchased the license. That means tens of millions of potential single-player worlds. And all the multiplayer worlds hosted on the net.

In just over a year, this game has become impossible to explore exhaustively. No one on earth will ever be able to view a complete panorama of the constructions of all the players of this game. It's become a universe within a universe. An infinity within an infinity. Those who are not troubled by this thought are animals.

Second Life is dead, discredited, in any case almost from its birth, suffocated by the consumerism that reigns there, by its ugliness too – as photorealism is no guarantee of beauty – but above all by the fact that all stakes are absent. All stakes, all effort, all danger, all problems.

I wrote about this almost a year ago:

"Second Life is not a game, nor does it have any of the characteristics that make a game fundamental. Nothing in particular happens, and you're 'free'; except that you're only free to do nothing fundamental. And that nothing happens is the worst option imaginable: in real life, there are trials and tribulations to go through, which fall from the sky; things happen that you can't do anything about. Choices are limited. And games, which reflect these trials and tribulations, allow us to prepare for them, or to sublimate them, or to free ourselves. Second Life is not a game, it's even the anti-game par excellence; and it's not life, even second, or even virtual; it's not life, it's its opposite."

Minecraft, on the other hand, is life – with its fundamental solitude, the indifference of nature, the absurdity of the difficulties and adversity that befall us – but also, the possibility of building something, for oneself. The possibility of finding meaning after all.

I've often dreamed of a virtual space where I could meet up with friends and build a little corner of my own. It's done. It's now possible. But whereas I used to use the verb "to build" without weighing up the implications, Minecraft has gone one step further: anything you want to have there, you'll have to earn by the sweat of your brow (or index finger, rather) – but the satisfaction is even greater. The feeling of being there. The desire to make it last.

There's something at play in Minecraft – something to do with what's fundamental in life.

vendredi 4 mars 2011

Visions

En me couchant après toute une journée sur Minecraft, exténué, j'ai fermé les yeux, et ai alors eu des visions irrépressibles de paysages en 3D primitive, emportés par des torrents, des secousses, des glissements de terrain, aspirés par un trou noir, incendiés, effondrés. À grande vitesse.

Comme si mon esprit voulait me montrer qu'il ne lui fallait que quelques secondes pour réduire à néant les bâtiments, les paysages que j'avais patiemment mis des heures – des semaines, des mois, dans le temps du jeu – à construire.

Était-ce un avertissement, une mise en garde contre ma facilité à détruire ou à laisser détruire en un clin d'œil tout ce que je fais de ma vie ? Pour sauvegarder cela ?

Ou était-ce au contraire une réaction rageuse des quelques neurones sains qui me restent, voulant me montrer par là ce qu'ils en faisaient, de mes petits décors 3D pour lesquels je sacrifie le monde réel ?

mercredi 12 janvier 2011

January 12, 2011



When I was twenty-three, I wrote a Master's thesis on Houellebecq's work, one of the main features of which is the life journey of the main character, who, after sentimental, professional and other tribulations, after having met many people and witnessed scenes that carry within them the truth of his era in all its specificity, and of life in its naked, eternal truth, gives up his life to content himself with writing his testimony. Ironically, at less than forty years of age, this is more or less the point I've reached myself.

*

I reread Plateforme a few days ago, and while it's undeniable that this novel "saved my life", or in any case, saved me from a great deal of grief, I have to say that this new rereading – perhaps because La Carte et le Territoire made me see them in close-up, once and for all – has above all brought home to me the tricks of Houellebecquian writing.

After ten years of rereading, you might say it's about time, but deep down I think I hate analyzing, deconstructing and recontextualizing works of any kind. I remain, and want to remain, a lambda reader, spectator or listener, impressionable and driven by emotion and identification. Because without these aspects, the arts have no effectiveness and therefore no raison d'être; neither literature, nor music, nor painting appeared in the caves, between two mammoth hunts, to give grist to academics, I would say in simplifying, if I were the anti-intellectual poujadist that I am.

*

Perhaps it's this disillusionment, this disenchantment – in the truest sense of the word: who has forgotten the authentic trances they experienced listening to music as a teenager? – which has wearied me so much of the music scene I've been part of for the past fifteen years, that I can't even hear about it anymore: when you know the "manufacturing secrets" of records, when you know the history of movements, the genealogy of genres and sounds, when you know the people themselves, what they are individually as well as in their relationships within the milieu, and you wonder whether it's banality or mediocrity that essentially characterizes them (and I include myself in all this), inevitably, the magic of listening is somewhat attenuated.

When I was fifteen or sixteen, I was a sickly fan of Dead Can Dance; it turned into an obsession, I'd dream about them at night, draw them, write about them, it was OK Podium; and the scarcity of information available about them at the time, and even more so, of photos of them, allowed for all kinds of fantasies, all kinds of personal appropriations of their work, but also of themselves, as musicians and quasi-imaginary characters, superhuman in any case. Obviously, after ten years of the Internet and the "gothic" press detailing their history, their spats, their appearances on soundtracks and other trivialities, they no longer have any grey areas for me, nor anything fascinating – people, very talented, making music, and nothing more.

A room with posters, books, a stereo and a bed to snooze in - that's more than enough interface with the world.

12 janvier 2011



J'ai écrit à vingt-trois ans un mémoire de Maîtrise sur l’œuvre de Houellebecq, dont l'une des grandes caractéristiques est le trajet de vie du personnage principal, qui après des tribulations sentimentales, professionnelles et autres, après avoir fait maintes rencontres et assisté à des scènes portant en elles la vérité, et de son époque dans ce qu'elle a de spécifique, et de la vie dans sa vérité nue, éternelle, renonce à sa vie pour se contenter d'écrire son témoignage. Ironiquement, à moins de quarante ans, c'est plus ou moins le point que j'ai atteint moi aussi.

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J'ai relu Plateforme ces jours-ci, et s'il est indéniable que ce roman m'a "sauvé la vie", ou en tous cas, sauvé d'un gros chagrin, je dois dire que cette nouvelle relecture – peut-être parce que La Carte et le Territoire me les a faites voir en gros plan, une bonne fois – m'a avant tout fait sauter aux yeux les ficelles de l'écriture Houellebecquienne.

Après dix ans de relectures, il était peut-être temps, me direz-vous ; mais au fond je crois que je déteste analyser, déconstruire, recontextualiser les œuvres, quelles qu'elles soient. Je reste et veux rester un lecteur, un spectateur, un auditeur lambda, impressionnable et fonctionnant à l'affectif et à l'identification. Parce que sans ces aspects-là les arts n'ont aucune efficacité et donc aucune raison d'être ; ni la littérature, ni la musique, ni la peinture ne sont apparues dans les cavernes, entre deux chasses au mammouth, pour donner du grain à moudre aux universitaires, dirais-je en simplifiant, si j'étais le poujadiste anti-intellectuel que je suis.

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C'est peut-être ça, cette désillusion, ce désenchantement – au sens propre : qui a oublié les authentiques transes qu'il a connu en écoutant de la musique, adolescent ? – qui m'a tellement lassé des scènes musicales dans lesquelles j'ai évolué depuis une quinzaine d'années, jusqu'à ne plus pouvoir en entendre parler : quand on connaît les "secrets de fabrication" des disques, quand on connaît l'histoire des mouvements, la généalogie des genres et des sons, quand on a connu les gens eux-mêmes, ce qu'ils sont individuellement comme dans leurs relations au sein du milieu, et dont on se demande si c'est la banalité ou la médiocrité qui les caractérisent essentiellement (et je m'inclue à tout cela), forcément, la magie de l'écoute est un peu atténuée.

A quinze, seize ans, j'étais maladivement fan de Dead Can Dance ; cela virait à l'obsession, j'en venais à rêver d'eux la nuit, à les dessiner, à écrire sur eux, c'était OK Podium ; et la rareté des informations disponibles sur eux à l'époque, et encore plus, des photos d'eux, permettaient tous les fantasmes, toutes les appropriations personnelles de leur œuvre, mais d'eux-mêmes aussi, en tant que musiciens et personnages quasi-imaginaires, surhumains en tous cas. Évidemment, après dix ans d'Internet et de presse "gothique" détaillant leur histoire, leurs prises de bec, leurs participations à des B.O et autres banalités, ils n'ont plus de zone d'ombre pour moi, ni rien de fascinant – des gens, très doués, qui font de la musique, et rien de plus.

Une chambre avec des posters, des livres, une chaine hi-fi et un lit où se pieuter ; voilà qui est très largement suffisant, comme interface avec le monde.