J'ai relu récemment un vieux post de ce blog :
Discussion sur Facebook, hier, avec un vieil ami qui faisait partie de notre bande d'ados-clochards vers 1995. Nous avions passé tout un été à boire des 75 de Kro dans un parc devant l'église du Sacré Cœur, à jouer au foot avec les alcooliques de la Croix Bleue située pas loin, et à traîner et fumer des clopes dans les bizarrement nombreux bâtiments abandonnés que comptait la ville à cette époque-là – maisons de maître du 19ème siècle, piscine abandonnée, constructions jamais achevées – et qui ont aujourd'hui absolument tous disparu.
J'ai envie de développer un peu sur le sujet.
Notre chef de bande était un futur ex-petit gros appelé Jérôme, avec qui je m'étais lié d'amitié en classe de Sixième et qui m'avait initié au hard-rock – les Guns, Iron Maiden – alors que si mes souvenirs sont bons, j'écoutais alors surtout Enigma et Lagaf.
Il avait, luxe fou à l'époque, dans le milieu social où j'évoluais, un PC à lui, et comme il n'était pas spécialement prêteur, je devais me contenter de le regarder jouer pendant des heures à Ishar et à d'autres jeux vidéos – Blade Runner, Ultima 7, peut-être une démo de Daggerfall, sans certitude.
*
Je l'avais, moi, initié au jeu de rôle sur table, ma mère m'ayant acheté par erreur, en croyant que c'était un livre dont vous êtes le héros, le premier tome du système de jeu Terres de Légende. N'ayant alors jamais ne serait-ce qu'entendu parler des jeux de rôle, j'avais mis un certain temps à comprendre, en lisant ce bouquin, et en me demandant où était l'aventure après les règles, que l'idée était de les écrire moi-même, ces aventures, et de les faire jouer à mes amis. Cela a influencé le reste de ma vie plus que ma scolarité ou que nombre d'autres choses.
Nous jouions donc à un peu tout et n'importe quoi, Cyberpunk 2020, L'Appel de Cthulhu, Shadowrun, Chimères, tous les jeux que j'achetais après en avoir lu les louanges dans Casus Belli, revue à laquelle je m'étais rapidement abonné. Ces parties servaient surtout à me mettre en rage, car Jérôme comme les quelques autres camarades du collège que je conviais à vivre mes scénars se montraient généralement d'épouvantables "Gros Bills" qui me désespéraient.
Discussion sur Facebook, hier, avec un vieil ami qui faisait partie de notre bande d'ados-clochards vers 1995. Nous avions passé tout un été à boire des 75 de Kro dans un parc devant l'église du Sacré Cœur, à jouer au foot avec les alcooliques de la Croix Bleue située pas loin, et à traîner et fumer des clopes dans les bizarrement nombreux bâtiments abandonnés que comptait la ville à cette époque-là – maisons de maître du 19ème siècle, piscine abandonnée, constructions jamais achevées – et qui ont aujourd'hui absolument tous disparu.
J'ai envie de développer un peu sur le sujet.
Notre chef de bande était un futur ex-petit gros appelé Jérôme, avec qui je m'étais lié d'amitié en classe de Sixième et qui m'avait initié au hard-rock – les Guns, Iron Maiden – alors que si mes souvenirs sont bons, j'écoutais alors surtout Enigma et Lagaf.
Il avait, luxe fou à l'époque, dans le milieu social où j'évoluais, un PC à lui, et comme il n'était pas spécialement prêteur, je devais me contenter de le regarder jouer pendant des heures à Ishar et à d'autres jeux vidéos – Blade Runner, Ultima 7, peut-être une démo de Daggerfall, sans certitude.
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Je l'avais, moi, initié au jeu de rôle sur table, ma mère m'ayant acheté par erreur, en croyant que c'était un livre dont vous êtes le héros, le premier tome du système de jeu Terres de Légende. N'ayant alors jamais ne serait-ce qu'entendu parler des jeux de rôle, j'avais mis un certain temps à comprendre, en lisant ce bouquin, et en me demandant où était l'aventure après les règles, que l'idée était de les écrire moi-même, ces aventures, et de les faire jouer à mes amis. Cela a influencé le reste de ma vie plus que ma scolarité ou que nombre d'autres choses.
Nous jouions donc à un peu tout et n'importe quoi, Cyberpunk 2020, L'Appel de Cthulhu, Shadowrun, Chimères, tous les jeux que j'achetais après en avoir lu les louanges dans Casus Belli, revue à laquelle je m'étais rapidement abonné. Ces parties servaient surtout à me mettre en rage, car Jérôme comme les quelques autres camarades du collège que je conviais à vivre mes scénars se montraient généralement d'épouvantables "Gros Bills" qui me désespéraient.
Nous jouions notamment au cours de ses fêtes d'anniversaire qui finissaient inévitablement par d'interminables engueulades. Nous avions un jour concocté une fausse séance de spiritisme lors d'un de ces houleux goûters. Jérôme devait être le dindon de la farce ; deux amis avaient bricolé un mécanisme qui leur permettait, à distance, d'allumer la chaîne HiFi quand ils le voulaient, et au cours de la séance, alors que nous faisions semblant d'invoquer les esprits, un morceau de Dead Can Dance (The host of Seraphim si ma mémoire est bonne) s'était mis à hurler à plein volume. Deux minutes plus tard, Jérôme était assis dos au mur de son immeuble, à bonne distance de la cabane, tremblant et bafouillant. On avait bien rigolé dans nos barbes naissantes. Mais j'avoue me demander aujourd'hui si ça existe réellement, une fausse séance de spiritisme. Si nous n'avons pas tous été les dindons d'une farce cosmique, bien réelle, qui nous dépassait complètement.
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Le dernier été où nous nous sommes vraiment fréquentés, juste avant l'entrée au Lycée, nous avions loué un petit bungalow à Langatte, au bord de l'étang du Stock. J'y avais pris ma première vraie grosse cuite, avec ce que l'on nommait un "cercueil", c'est-à-dire un mélange de tous les alcools fort qu'on avait trouvé. C'était une nuit de lune rousse ; elle semblait occuper la moitié du ciel. Jérôme et moi avions trouvé, je ne sais où, des draps blancs, et pour continuer sur une thématique macabre, nous avions déambulé en fantômes dans les allées du camping et au bord de l'eau.
Jérôme est mort l'été suivant.
This degenerate little house
Je me souviens d'une partie de L'Appel de Cthulhu que nous avions jouée dans les ruines de la piscine découverte, avec de la mauvaise bière tiède achetée au LIDL, mais commencée (avant de fuir !) dans ce que nous appelions "la SESA" – une maison de maître, typique de l'architecture allemande post-1871, qui faisait face à notre collège et appartenait au même ensemble, avec les manufactures attenantes, le tout étant la propriété, donc, de l'entreprise SESA.
Elle était très délabrée et entourée d'un parc devenu une véritable jungle avec les années, une jungle à l'aspect maladif et où régnait une perpétuelle pénombre. Sa traversée, jusqu'à la maison, avait suffi à me mettre plus que mal à l'aise. Je ne peux me baser que sur mes souvenirs, mais je sais que je n'invente pas ni d'embellis (ou enlaidis) les choses avec les années : la maison me foutait la trouille, la maison dégageait quelque chose de mauvais ; la maison avait l'air de faire partie d'une autre dimension, derrière ses grilles et sa jungle.
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La SESA occupe une place centrale dans ma cartographie intime et onirique de ma ville natale. Onirique au sens propre, parce que j'en rêve régulièrement depuis des années et des années. À chaque fois, elle est d'aspect différent – bicoque d'une seule pièce ouverte aux quatre vents, maison mitoyenne du coin de la rue, usine en ruine, immense manoir, corps de ferme pourrissant sur pied – mais à chaque fois je sais que c'est elle, je la reconnais immédiatement et de loin, à la quantité de mal qu'elle irradie.
Quelques exemples :
1) Je suis dans une maison abandonnée avec Xavier. Je sais qu'elle a quelque chose de maléfique. Je ne sais plus ce que nous sommes venus y faire, ou y voir, ou vérifier. Mais au bout de quelques minutes le monde se met à trembloter comme de la gelée, à se tordre comme une image dans un miroir déformant ; du moins c'est une impression visuelle qui se superpose au monde normal, et je comprends que c'est la maison qui fait ça. Je vois aussi, ou je sens, que les murs se resserrent ; la maison veut nous avaler, nous absorber, c'est un mécanisme inéluctable dès qu'on y pénètre.
2) Je suis dehors, au crépuscule, avec mon appareil photo. Je veux photographier le parking couvert, que la lumière rend si particulier à cette heure ; une lumière d'orage qui rend tout surnaturel. Je photographie l'extérieur du parking puis j'y entre. Des gens vont et viennent, certains me jettent des coups d’œil intrigués ou méfiants, vaguement hostiles, d'autres m'ignorent. Je prends des gens de loin, des angles serrés comme au téléobjectif, avec derrière eux le ciel d'orage aux nuages qui se détachent étrangement, à travers les ouvertures du parking. Quand je ressors, par une autre extrémité du bâtiment, je longe une petite rue, et continue à photographier le parking sous les angles les plus bizarres et les plus esthétiques possibles. Des centaines, voire des milliers d'oiseaux passent dans le ciel, comme si quelque chose allait se produire. Mon appareil a du mal à faire la mise au point sur eux, mais j'arrive à prendre quelques clichés. Ensuite, il fait nuit et je suis dans des ruelles étroites, sinueuses. Je suis avec Pierre et nous sommes perdus. Nous savons qu'il nous faut absolument trouver notre chemin. Nous essayons plusieurs itinéraires, nous perdant sans cesse. Puis nous nous retrouvons dans une rue plus large, presque une avenue. La maison de la SESA est là, plongée dans le noir et silencieuse – mais comme le reste des rues. Nous pouvons entrer dans la maison, je le sais, pour ressortir par une autre extrémité, afin de gagner du temps. Mais elle me fait toujours aussi peur. J'entre, néanmoins – la porte est ouverte – et me retrouve dans une espèce de salon obscur. Il y a une porte au bout. J'essaie de l'ouvrir, mais elle est fermée, la poignée maintenue par une sorte de barre métallique. Pourtant je sais qu'elle n'attend que ça, d'être ouverte. J'ai trop peur, et me dépêche de sortir. Nous prenons l'avenue pour rentrer. Tout est noir et silencieux.
3) Je suis à la SESA une fois de plus, il fait très sombre, et je suis avec d'autres. Nous traversons des pièces, des hall assez larges avec des escaliers, le tout me fait penser au collège. Je parle en voix-off comme si je commentais une vidéo pour quelqu'un, et je dis que je me souviens, au fond, extrêmement peu du contenu de la maison réelle (et dans mon rêve la disposition et le décor de la "maison réelle", dont je parviens à me souvenir par bribes, n'a rien à voir avec la vraie maison de maître qui faisait face au collège). De fait, la plupart des pièces que nous traversons sont à peu près vides de meubles ou d'affaires, comme si je ne parvenais pas à les "matérialiser". Tout est d'ailleurs très propre, on ne dirait absolument pas que la maison est abandonnée depuis des années. Nous arrivons dans une petite pièce où se trouve une échelle, ou un petit escalier, menant à une porte dans le mur, en hauteur, comme une entrée de grenier. Certains veulent y entrer, et le font. Je suis terrorisé en me souvenant alors que nous étions déjà entré dans cette pièce finale, et que "quelque chose" d'horrible nous y attendait, mais je ne sais plus quoi (une femme mal intentionnée ? Un esprit ? Une sorcière ?) - je dévale les escaliers pour m'enfuir mais arrive dans un hall, au rez-de-chaussée, extrêmement sombre et où la seule lumière est celle qu'on peut deviner à travers les vitres des portes d'entrée ; elles sont fermées par des grilles, je suis pris au piège. Mais l'espace n'est plus vraiment cohérent : en longeant les portes je me retrouve dehors, dans la cour de la maison, très minérale, avec des bosquets, un haut portail d'entrée, qui fait "château", et des murets que j'enjambe sans difficulté pour sortir. Je vois Adel, dehors, je ne sais pas s'il m'attendait ou non, nous échangeons un signe de tête. Avant ou après cet épisode, je parle de la SESA avec plusieurs personnes, dont monsieur Zingraff. Je parle aussi avec deux filles (pâles, manteaux noirs) qui me disent éviter certaines rues, dont j'avais entièrement oublié l'existence - et notamment à cause d'un monument, un genre de statue ou de mausolée fait par un homme pour une femme qu'il aimait, et dont je comprends à demi-mot qu'il est hanté, ou exerce un genre d'influence maléfique.
Seule occurrence non-terrifiante :
J'emménage avec Laurence, dans ma ville natale. Je ressens quelque chose de fort mais de difficile à formuler, à l'idée de revenir chez moi. Comme une boucle bouclée. Nous allons vivre dans une vieille maison bourgeoise avec parc, grilles, arbres, etc. Une fois dedans – elle est vraiment vieille et en désordre – je me rends compte que c'est une fois encore la SESA, mais pour la première fois je ne ressens qu'une vague méfiance, et non pas la peur panique, l'horreur habituelle. Je me dis qu'il faudra faire attention mais que peut-être, après tout, il est possible d'y vivre.
*
Parfois un souvenir en cache un autre ; ou une obsession une autre. J'en ai pris conscience en février 2008 quand j'ai photographié et filmé, avant qu'on ne la vide et qu'on ne la vende, la maison de ma grand-mère maternelle. Une maison, que dis-je, un immeuble de trois étages, où elle vivait absolument seule, dans deux pièces – le reste étant, du sol au plafond, rempli de photos et de souvenirs, de bouquins, de bibelots, d'objets ramenés de voyage, de vaisselle et de linge, de meubles remplis à craquer eux aussi, une vraie caverne d'Ali Baba dont certaines pièces n'avaient pas bougé et n'avaient accueilli personne à part une femme de ménage, depuis les années 60 ou 70.
Enfant, j'aimais cet endroit, où tournait en permanence une radio hors-d'âge, toujours sur RTL, et où plusieurs chats et un pigeon apprivoisé se baladaient. Mais cette fois-là j'y errais absolument seul, de pièce en pièce, voyant pour la première fois la maison telle qu'elle ne m'était jusque là apparue qu'en rêve, sous des masques : noire, silencieuse, aussi coupée du monde que l'intérieur d'un tombeau. Les volets à moitié baissés laissaient voir le jardin et la rue au dehors, mais la lumière avait quelque chose d'étrange et de maladif, et le dehors paraissait comme terni, atténué ; on aurait dit qu'une membrane infranchissable séparait la maison du dehors ; on aurait dit qu'elle évoluait dans son propre espace-temps. Je compris ce jour-là, debout à côté du lit de ma grand-mère, que cette maison était la matrice, l'image fondamentale d'où découlait mon obsession pour la poussière et le temps, l'abandon, les fantômes. Et que derrière mes rêves récurrents au sujet de la SESA, c'était elle qui se cachait. Adolescents nous croyions que la SESA était hantée. J'y croyais autant que les autres. Mais je me trompais : ce sont pas les maisons qui sont hantées. Ce sont les vivants ; et ce sont les maisons qui hantent. Mais concernant la SESA et la maison de ma grand-mère, je ne sais pas pourquoi, ni la signification de ce qu'elles symbolisent dans mes rêves. Le mystère reste et restera entier.
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