samedi 4 février 2017

A list of places where I can still breathe

I'm well aware that Mamoru Oshii's Avalon has had various interpretations, not least political ones, and that elements (suggesting that the whole film takes place in a video game) in its last part invalidate my own vision of the thing, and in short I don't pretend at all to give a reading of what the film actually says, BUT the first impression I got when I saw it, a number of years ago, was the following: the video game as escapism AND as an image of a reality (experienced as) dull, repetitive, alienating, brutal, centered on utilitarianism, survival and competition – opposed by "Class Real", access to the real world, which is the same world, but finally perceived as a space for play and stakes.

The film eXistenZ had exactly the same effect on me, especially one scene, the most pregnant with meaning and aesthetic emotion, which also happens to be the most innocuous: the one where Allegra Geller and her bodyguard Ted Pikul arrive at the gas station to have a bioport installed for the latter. Allegra strolls past the gas pumps, radiating a strange, quirky joy; she smiles and looks at the world around her as if seeing it for the first time. She throws pebbles at the gas pumps, to see what noise they make, like a child discovering the outside world and wanting to test it; and it's at this point that we understand that eXistenZ is not a film for or against virtual worlds, nor even a film "about video games".

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Like everyone else, I've been testing these "Gamify your life" software programs, which turn everyday life into an RPG, with quests to complete, experience and rewards, etc.

The aim of all this stuff is very down-to-earth (maintaining good habits, fulfilling one's obligations in a day, etc.) and sometimes it's even taken very seriously:

"Health-related costs are rising, and someone has to pay for them. Hundreds of programs are designed to reduce these costs and improve overall well-being. We are convinced that Habitica can provide a real solution towards a healthier lifestyle."

On the Anglo-Saxon side, we're obviously even clearer about the ultimately utilitarian aspect, totally devoted to the ideology of our times, carried by these tools, since it's openly about improving one's productivity, or monitoring one's fitness and nutrition (Fitocracy) or even one's mental health (Mindbloom). And when I read quotes like "I'd rather recruit a very good World of Warcraft player than someone who's got an MBA from Harvard", or "Playing is a very high-level skill, and those who can't play are worrisome", I think we've gone from video games as a refuge for geeks, misfits, uglies and shy people – to a new tool, a new weapon of generalized oppression.

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Still in the "I'd better not leave my house" series:





In the past, this hangar housed a frozen food store, lit by sinister neon lights, and an Amstrad CPC 664 to manage the cash register. In place of the concrete parking lot, a black and dirty pond, the blackest and dirtiest pond in the world, surrounded by anarchic vegetation – in other words, paradise on earth. I had a friend who was obese, as in any self-respecting childhood. He lived there. His father owned the store.

Not far away was a cross-country course, and the house where the American evangelist pastor's daughter lived; she'd never worn anything but long skirts since birth, looked like she'd stepped out of an episode of Little House on the Prairie and, rumor had it, had nothing against jerking off local boys who asked nicely. I never found out if it was true.

The list of places where I can still breathe is continually dwindling. And wherever I go, the stupid houses painted red and gray, the traffic circles, the hideous L.E.D.s in the gardens, to light the way to the door at night, and the exotic flowerbeds with stupid decorations, instead of trees, good old trees. Time and landscapers destroy everything.

La liste des endroits où je peux encore respirer

Je sais bien qu'Avalon, de Mamoru Oshii, a eu diverses interprétations, notamment politiques, et que des éléments (faisant penser que tout le film se déroule dans un jeu vidéo) dans sa dernière partie invalident ma propre vision de la chose, et en somme je ne prétends pas du tout donner une lecture de ce que dit réellement le film, MAIS la première impression que j'ai eu en le visionnant, il y a un certain nombre d'années, est la suivante : le jeu vidéo comme "échappatoire à" ET comme image d'un réel (vécu comme) terne, répétitif, aliénant, brutal, centré sur l'utilitarisme, la survie et la compétition – auquel s'oppose la "Class Real", l'accès au vrai monde, qui est le même monde, mais enfin perçu comme un espace de jeu et d'enjeux.

Le film eXistenZ m'avait fait exactement le même effet, surtout une scène, la plus lourde de sens et d’émotion esthétique, qui se trouve aussi être la plus anodine ; celle où Allegra Geller et son garde du corps Ted Pikul arrivent à la station-service pour faire installer un bioport à ce dernier. Allegra flâne devant les pompes à essence ; elle rayonne d’une joie étrange, décalée ; elle sourit et regarde le monde autour d’elle comme si elle le voyait pour la première fois. Elle jette des cailloux contre les pompes à essence, pour voir le bruit que ça produit, comme une enfant qui découvre le monde extérieur et veut le tester ; et c’est là qu’on comprend qu’eXistenZ n’est pas un film pour ou contre les mondes virtuels, ni même un film "sur les jeux vidéos".

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J'ai testé comme tout le monde ces logiciels, sur le principe "Gamify your life", qui transforment la vie quotidienne en RPG, avec des quêtes à accomplir, de l'expérience et des récompenses, etc.

Le but de tous ces machins est quand même très terre-à-terre (conserver de bonnes habitudes, remplir ses obligations dans une journée, etc) et parfois ça se prend même très au sérieux :

"Les coûts liés à la santé augmentent et quelqu'un doit forcément les payer. Des centaines de programmes sont conçus pour réduire ces coûts et améliorer le bien-être général. Nous sommes convaincus qu'Habitica peut apporter une réelle solution vers un mode de vie plus sain."

Côté anglo-saxons, on est bien évidemment encore plus clair sur l'aspect finalement utilitariste et totalement dévoué à l'idéologie de notre époque, porté par ces outils, puisqu'il s'agit ouvertement d'améliorer sa productivité, ou de surveiller sa forme et sa nutrition (Fitocracy) voire sa santé mentale (Mindbloom). Et quand je lis des citations du genre "Je préfère recruter un très bon joueur de World of Warcra­ft que quelqu’un qui a décroché un MBA à Harvard", ou encore " Jouer est une compétence de très haut niveau et ceux qui ne savent pas jouer sont inquiétants", je me dis qu'on est passé du jeu vidéo comme refuge pour les geeks, les inadaptés, les moches, les timides – à un nouvel outil, une nouvelle arme de l'oppression généralisée.

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Toujours dans la série "je ferais mieux de ne plus sortir de chez moi" :





Autrefois, dans ce hangar, il y avait un magasin de surgelés, éclairé par des néons sinistres, et un Amstrad CPC 664 pour gérer la caisse. À la place du parking bétonné, un étang noir et sale, le plus noir et le plus sale étang du monde, cerné de végétations anarchiques – autant dire, le paradis sur terre. J'avais un copain obèse, comme dans toute enfance qui se respecte. Il habitait là. Son père possédait le magasin.

Pas loin, il y avait un terrain de cross, et la maison où vivait la fille du pasteur évangéliste américain ; elle n'avait jamais porté autre chose que des jupes longues depuis sa naissance, avait l'air de sortir d'un épisode de La petite maison dans la prairie et, selon la rumeur, ne se faisait pas prier pour branler les garçons du coin qui demandaient gentiment. Je n'ai jamais su si c'était vrai.

La liste des endroits où je peux encore respirer s'amenuise continuellement. Et où que j'aille me rattraperont les maisons à la con peintes en gris et en rouge, les ronds-points, les L.E.D hideuses dans les jardins, pour éclairer le chemin vers la porte la nuit, et les massifs de fleurs exotiques ornés de décorations débiles, à la place des arbres, des bons vieux arbres. Le temps et les paysagistes détruisent tout.