Robb Sherwin est un auteur américain de fictions interactives connu pour ses jeux déjantés, dans un esprit très "Série Z", parfois un peu aux limites du mauvais goût (un peu au-delà de la limite) mais authentiquement drôles et qui surtout montrent un véritable talent d'auteur, de conteur, bref d'écrivain.
J'ai personnellement joué à Cryptozookeeper et Necrotic Drift, que je n'ai pas réussi à terminer – cela figure dans ma liste de choses à faire avant de mourir – mais qui m'ont diverti, fait rire, et réussi à m'accrocher même avec leurs puzzles ; chose assez rare.
Il travaille actuellement sur un RPG textuel comme toujours, appelé Cyberganked et qui est un hommage cyberpunk aux vieux jeux type Bard's Tale.
Les jeux de Robb Sherwin sont écrits avec le moteur Hugo, qui permet (comme Inform mais de manière plus poussée il me semble) de gérer les couleurs et l'affichage d'illustrations ; et leur contenu visuel, leur identité visuelle, est sans aucun doute l'un des charmes de ses jeux, et quelque chose d'unique dans la F.I contemporaine.
Son profil IFDB.
Sa page sur IFWiki.
– Quand il a commencé à jouer à des fictions interactives, Sherwin a été très agréablement surpris par la qualité d'implémentation et de finition des jeux produits par Infocom, Level 9 et Magnetic Scrolls.
– Il distingue l'école Infocom et l'école Magnetic Scrolls, qu'il a découvert en premier, et dont il dit qu'elle a (puisque c'est une entreprise anglaise) une "manière anglaise de parler au joueur" et un humour anglais bien spécifique.
De la même manière, mais sans intention laudative, et c'est peu dire, on pourrait évoquer ce ton "bien français" dans les jeux textuels hexagonaux du début des années 80 : humour potache voire lourdingue, obsession pour les situations "sexy", recours aux jeux de mots douteux, etc...
– Les illustrations des jeux Magnetic Scrolls, comme The Pawn,
l'ont également marqué – il dit clairement avoir, quand il a commencé à
travailler avec le moteur Hugo, voulu faire quelque chose qui ressemble à
un jeu Magnetic Scrolls.
– Il souligne que cette qualité des jeux Infocom et Magnetic Scrolls inspire confiance au joueur, c'est-à-dire lui fait se comprendre que s'il n'arrive pas à avancer dans le jeu (en résolvant un puzzle, par exemple) c'est dû à son manque de réflexion et non pas à un défaut de conception du jeu.
Chose très importante tant le découragement du joueur, dans une fiction interactive à l'analyseur de syntaxe trop limité, peut l'amener à quitter le jeu dès les toutes premières minutes.
– Les feelies lui paraissent importants parce qu'ils étendent l'expérience du jeu hors de l'ordinateur et du fait même de jouer. Il cite notamment les textes fictionnels fournis avec The Pawn ou The Guild of Thieves, qui l'ont conduit lui-même à proposer le même genre de choses avec ses propres jeux.
À ma connaissance (merci de me détromper, au cas où) aucun jeu français ne propose cela. Ce sont des pistes intéressantes pour l'avenir.
– Sherwin est l'un des rares auteurs à produire des copies physiques de ses jeux, et à réussir à les vendre : ainsi les 50 copies de Necrotic Drift ont été vendues, d'abord sur son site personnel, puis sur Ebay.
– Sherwin raconte que quand il a su qu'il était possible de faire des jeux textuels, il n'a plus jamais désiré autre chose, même si c'était une idée qui ne lui était jamais venue auparavant.
– Il explique que le fonctionnement même de la fiction interactive lui permet de développer certains aspects de ses histoires, plus qu'il ne pourrait le faire dans un roman où on ne peut pas "tout caser" sans perdre le fil et où il est nécessaire de maintenir un haut niveau d'attention de la part du lecteur en permanence. Dans une F.I il est possible de profiter des actions que le joueur tentera (examiner tel ou tel objet, tester telle ou telle action) pour dire des choses, développer des choses comme des à-côté de l'histoire générale.
– Au sujet de son jeu Necrodic Drift, Sherwin rappelle qu'il est sorti (certes de peu de temps) avant Shaun of the Dead et le remake de Dawn of the Dead, et tout cette hype autour des zombies. Le jeu se voulait d'ailleurs un hommage au film de Romero (qui se déroule lui aussi dans un centre commercial, mais avec uniquement des zombies, tandis que dans Necrotic Drift c'est tout le bestiaire de l'horreur qui surgit). Mais également comme une histoire sentimentale, puisque la relation du personnage-joueur avec sa petite amie est au premier plan du jeu.
– En tant que joueur, il recourt aux soluces. "Bad at puzzles" ; presque mot pour mot ce que Michael Gentry dit également de lui-même.
– Adam Cadre est l'un de ses auteurs favoris, et il qualifie Interstate zero de meilleure F.I depuis l'époque Infocom.
– Son "puzzle" préféré est un moment dans le jeu Knight Orc où il faut tuer un PNJ et où il a volé un objet à ce PNJ afin qu'il le suive pour le récupérer, jusqu'à un lieu où se trouvait un vampire. Vampire qui attaqua le PNJ, réglant la question. Sherwin ne sait même pas si c'était prévu dans le scénario du jeu ou si c'est un hasard, mais il cite cette anecdote comme premier exemple dans sa vie du concept d'émergence dans un jeu vidéo.
– Robb Sherwin dit de lui même : "I'm into the fiction part of interactive fiction". Il se définit comme un raconteur d'histoires, sur des gens, pas sur des choses – par opposition avec l'I.F "scientifique" à coups de machines compliquées et de mécanismes en tous genres comme dans Hadean Lands de Zarf. Il donne pour exemple Necrotic Drift qui contient un seul puzzle plutôt simple, et dont le reste consiste à parler aux PNJ et à explorer.
– Que les joueurs prennent plaisir à rencontrer les PNJ et lire les dialogues dans ses jeux est l'un des grands buts de Robb Sherwin, qui dit vouloir partager avec les joueurs les bons moments qu'il a pu vivre avec ses amis dans le passé ; amis qui inspirent ses PNJ et leur prêtent même leur visage, à l'écran.
– En effet, Sherwin dit aimer sortir prendre des photos avec ses amis et les inclure ensuite dans ses jeux, comme portraits de PNJ ; expliquant que quand de nombreux PNJ sont présentés au joueur en un temps réduit (j'imagine qu'il parle des scènes d'exposition) il est plus facile pour le joueur de les mémoriser s'il peut y accoler une image, un portrait.
– Il décrit également comme cela un moyen agréable de partager avec ses amis un hobby qui il est est souvent difficile à comprendre pour l'entourage, et pour X raisons, très solitaire.
Ce qui m'amène à me demander pourquoi, surtout à notre époque où tout cela est très facilement réalisable d'un point de vue technique, on ne trouve pas de "studios" créant de l'I.F. Avec un ou des codeurs, mais aussi des musiciens, des photographes ou illustrateurs, pourquoi pas des acteurs pour les voix, etc. Je ne parle pas de professionnels engagés pour l'occasion, dans la mesure où l'I.F ne génère en général aucune rentrée d'argent, c'est tout-à-irréaliste. Mais des groupes d'amis, ou de gens qui comme à l'occasion de jams sur itch.io décident de travailler ensemble, pour la gloire ?